Verity Wingate (Luisa Casati), Polly Leech (Romaine Brooks), Paride Cataldo (Gabriele D’Annunzio), Martin Mkhize (Garbi); Amsterdam Sinfonietta, dir. Geoffrey Paterson. Live 2020. Notice en anglais.
Challenge Classics CC72849. Distr. DistrArt Musique.

C’est à la figure de Luisa Casati, née von Amann, que Willem Jeths consacre son troisième opéra. Très tôt héritière d’une des plus grosses fortunes italiennes, mécène et muse de nombreux artistes, elle fut célèbre pour ses bals masqués fastueux, son goût pour l’occultisme et surtout pour son excentricité. Le librettiste Frank Siera et le compositeur néerlandais se sont focalisés sur l’aspiration de la marquise à faire d’elle-même une œuvre d’art, et ont concentré l’action sur une soirée fortuitement organisée à la veille de la première Guerre Mondiale, à laquelle sont notamment conviés Romaine Brooks, Gabriele D’Annunzio, Sergei Diaghilev, Man Ray, Jacob Epstein Kees van Dongen et Filippo Marinetti.

Quatre accords suffisent à introduire Garbi, garde et domestique de Luisa, dont la dignité et la loyauté sans faille sont parfaitement rendues par la prestance du baryton Martin Mkhize, chez qui la solidité vocale n’est jamais synonyme de rigidité. Le récitatif initial par lequel il les accueille au Palazzo dei Leoni à Venise permet de nommer les invités, qui se signalent chacun par une brève intervention vocale. S’impose assez vite une musique chargée de références qui ne tarde pas à affirmer une tendance illustrative un peu facile. La réplique de Diaghilev accompagnée par un pastiche de Casse-Noisette, la musique martiale par laquelle se signale Marinetti, lequel adore bien sûr le fracas des armes, sont représentatives d’une musique qui oscille en permanence entre le substrat tonal propre au compositeur, les pastiches, les citations – La Valse de Ravel, l’inévitable motif chromatique de Tristan – et les allusions. De ce second degré à la gâchette facile, on en vient à se demander s’il n’est pas avant tout un prétexte pour écrire un bel canto flatteur mais qu’un premier degré esthétique rendrait obsolète. Le ténor Paride Cataldo se montre brillant dans le rôle de D’Annunzio, mais il apparaît dans ce contexte comme un transfuge puccinien. Si Verity Wingate se montre convaincante sur toutes les facettes de son rôle, c’est dans les airs en forme de soliloque où, à chaque fin de scène, Luisa se dévoile sans fard et en proie au doute que la soprano se voit offrir le champ expressif le plus ouvert. Parce que Romaine Brooks, annonciatrice de la guerre, représente la voix de la raison, Polly Leech est dotée d’un rôle sobre mais intense auquel sa densité vocale de mezzo-soprano confère une profondeur on ne peut plus adéquate, et c’est de façon symptomatique à ses interventions vocales qu’est associée la matière orchestrale la plus subtile et la plus intéressante. On atteint à la scène 5 l’apogée expressif de l’opéra grâce à un duo de Luisa et Romaine, où le numéro de séduction érotique à auquel se livre la première, manifestement avec un certain succès, aboutit à un joli, quoiqu’assez conventionnel, enchevêtrement de voix.

L’Amsterdam Sinfonietta est dirigé de façon très réactive par Geoffrey Paterson, mais le matériau dont il est porteur tendant trop souvent à l’exercice de style et à une dramatisation un peu forcée ne lui offre pas le terrain de jeu le plus valorisant. Manifestement spécifique à cette production, le chœur irrigue une écriture très verticale – et friande de scènes burlesques telle qu’une « marche de la canonnade » et un « chœur des huissiers » – de sa plénitude et de son homogénéité.
À défaut d’un langage opératique novateur, ce Ritratto offre un spectacle lyrique divertissant et rythmé.

Pierre Rigaudière