Cyrille Dubois (Dardanus), Judith van Wanroij (Iphise, l’Amour), Chantal Santon Jeffery (Vénus, une Phrygienne), Thomas Dolié (Teucer, Isménor), Tassis Christoyannis (Anténor), Clément Debieuvre (Arcas), Purcell Choir, Orfeo Orchestra, dir. György Vashegyi.
Glossa 924010 (3 CD). 2020. 2h50. Notice en français. Distr. Harmonia Mundi.

Après nous avoir offert de belles Indes galantes, Vashegyi nous propose Dardanus, chez le même éditeur – en opérant à nouveau un choix de version qu’on pourra regretter. Comme Pichon (Alpha, 2012) et contrairement à Minkowski (Archiv, 2000), il opte pour la seconde rédaction de l’œuvre, plus tragique et cohérente, mais moins féérique et, admettons-le, moins séduisante musicalement : dans cette mouture disparaissent non seulement le dragon envoyé par Neptune (et donc la grande scène d’Anténor « Monstre affreux » comme le finale de l’Acte III), mais encore les Songes et leur chatoyant trio ainsi que – ce qui est plus déconcertant – le fracassant duo de basses avec chœur « Mars, Bellone » de l’Acte I (conservé par Pichon). En échange, on gagne l’ineffable « Lieux funestes » de Dardanus (que Minkowski insérait dans la première version), pas mal de danses et d’ariettes nouvelles. On ne contestera pas la philologie certainement irréprochable ayant présidé à cette version mais on admettra trouver cette dernière, ainsi donnée dans son « intégralité » (contrairement à ce qui advenait chez Pichon), un peu languissante : privés de climax, les Actes I et III intéressent peu et le Prologue semble bien long. La direction soignée, attentive et sensuelle de Vashegyi est-elle en cause ? Elle « respire » mieux que celle de ses rivaux (notamment dans le Prologue, justement) au détriment de la fièvre et du mystère dont Gardiner paraît l’ouvrage (dans ses indépassables extraits gravés pour Erato en 1982). L’orchestre assez large de Vashegyi privilégie le mol confort des basses à l’incisivité des violons (écoutez la magique ritournelle ouvrant l’Acte II) et se complait dans une somptuosité symphonique qui arase les contrastes, tandis que le chœur au contraire, manque d’assise grave. Dernier regret : Anténor a ici peu à chanter, et c’est dommage pour le soyeux Christoyannis, qui réussit à le doter d’un certain capital de sympathie. En revanche, Dolié, qui cumule deux rôles (comme le faisait l’interprète de 1744, un choix qui nous frustre un peu) chante beaucoup et avec un talent de plus en plus manifeste, faisant brûler l’intraitable Teucer d’une sombre flamme (sublime confrontation avec Dardanus, à l’Acte V !) et campant un Isménor certes moins abyssal que celui de Joao Fernandes (Pichon) mais aussi moins monolithique. Le choix du délicieux Dubois s’imposait en Dardanus : dès ses premiers mots, ce timbre lumineux, ce placement haut, cette élocution superlative nous enchantent, et l’on regrettera juste quelques sons « en arrière » dans l’ariette finale. Les scènes qui unissent le héros à sa bien-aimée comptent parmi les plus réussies de l’enregistrement, van Wanroij, mordante et investie, sachant traduire dans son chant tous les émois d’Iphise – dont elle dresse un portrait plus analytique, moins charnel que celui offert par Gaëlle Arquez (Pichon). Enfin, dans la tessiture centrale de Vénus, Santon Jeffery soigne davantage sa diction que d’habitude. Il y a donc peu de reproches à faire à cette interprétation, qui échoue seulement à rendre le caractère fantastique, follement baroque de la partition « maudite » de Rameau.

 

Olivier Rouvière