Ewa Vesin (Renata), Leigh Melrose (Ruprecht), Sergey Radchenko (Agrippa von Nettesheim), Anna Victorova (l’hôtesse), Mairam Sokolova (la Voyante/ La Mère supérieure), Andrii Ganchuk (le Serviteur/ Johann Faust), Maxim Paster (Mephistopheles), Goran Juric (l’Inquisiteur), Petr Sokolov (Mathias Wiessman), Domingo Pellicola (Jacob Glock), Murat Can Güvem (le Docteur), Timofei Baranov (l’Aubergiste), Arianna Morelli, Emanuela Luchetti (les Nonnes), Chœur et Orchestre de l’Opéra de Rome, dir. Alejo Pérez, mise en scène : Emma Dante (23 mai 2019 Teatro dell’Opera di Roma)

DVD Naxos 2.11066.3. Distr. Outhere.

Français ou Russe ? Les reprises récentes de L’Ange de feu, depuis la relecture fulgurante de Richard Jones pour la Monnaie de Bruxelles, ont semble-t-il tranché, reconduisant le coup de génie d’un Prokofiev trentenaire, écrivant finalement son opéra à Paris au long des années 1926-1929 – Nina Koschetz en donnera quelques extraits en français chez Koussevitzky – au livret original en russe, où tout l’esprit  du roman de Brioussov s’était infiltré.

Les avanies que connut l’œuvre, d’abord envisagée à l’intention de l’Opéra de Berlin pour Bruno Walter, refusée par le Metropolitan Opera de New York, finalement crée tardivement à Paris au Théâtre des Champs-Elysées le 25 novembre 1954 en version de concert, après que l’ouverture des archives des Editions Russes de Musique en ait révélé le manuscrit qu’on y avait oublié, réservaient un ultime coup de théâtre : la découverte en 1977, à Londres, dans des conditions rocambolesques, du livret original russe, écrit par Prokofiev lui même.

Contrairement à la proposition drastique de Richard Jones qui transposait l’action au XXe siècle, Emma Dante respecte le temps historique du roman qui se déroule aux environs de Cologne durant la première moitié du XVIe Siècle.

Tout son art de la direction d’acteur s’incarne dans la Renata hantée d’Ewa Vesin, brulée de désirs pour le Diable et pour les hommes. Elle renverse le fonds de l’ouvrage, son Ange de feu ne traite pas de problèmes moraux ou éthiques, encore moins de l’emprise du religieux, mais bien plutôt de l’inextinguible puissance du désir, qui meut Renata et détruit Ruprecht dont la quête se teinte dans la voix acerbe de Leigh Melrose d’une mélancolie fataliste mêlée d’une fureur d’impuissance qui submerge le chevalier lors de sa vaine visite chez Agrippa.

Adieux cabalistique, nécromancie, sortilèges et possessions : ils font le décor du drame passionnel qu’Emma Dante traque chez le couple impossible mais ne s’y substituent pas, laissant voir les destinées humaines d’abord. Un tour de force, d’autant qu’Emma Dante ne sacrifie aucun épisode de cette quête éperdue, accordant sa mise en scène au cordeau à la musique implacable de Prokofiev : ici tout est question de rythme, la musique dicte l’exactitude des gestes, la scène semble découler de la fosse, les images se cousent aux sons, alliage fidèlement transcrit par la captation de Carlo Gallucci.

Si bien que soudain la seule alternative de l’œuvre au DVD, le spectacle du Mariinsky, parait démonstratif, brouillon et un rien vide : on continuera de savourer sa distribution exceptionnelle plutôt dans l’édition phonographique. Autour de la Renata de Ewa Vesin, obsessionnelle, hantée, perdue dans sa quête, dominant la redoutable vocalité que lui a dévolu Prokofiev, l’Opéra de Rome aura assemblé une troupe parfaite où saillent l’Agrippa de Sergey Radchenko, la Mère supérieure de Mairam Sokolova, l’Inquisiteur de Goran Juric, Alejo Pérez abrasant l’orchestre futuriste que Prokofiev aura porté ici à son acmé, tous rappelant que l’Italie fut la seconde patrie de cet Angelo di fuoco, depuis sa création scénique à la Fenice le 15 septembre 1955.


JCH