Hanns Nocker ( Hoffmann), Melitta Muszely (Stella, Olympia, Antonia, Giulietta), Rudolf Asmus (Lindorf, Coppélius, Miracle, Dapertutto), Werner Enders (Andreas, Cochenille, Franz, Pitichinaccio), Vladimir Bauer (Spalanzanni), Alfred Wroblewski ( Crespel), Horst-Dieter Kaschel (Schlemihl), Sylvia Kuziemski (La Muse/ Nicklaus), Chœurs et Orchestre de la Komische Oper de Berlin, dir. Karl-Fritz Voigtmann, mise en scène et réalisation : Walter Felsenstein

Arthaus  DVD 109435  Blu-ray109434 Distr. UVM Distribution. 1970. 2h 11’. Notes de présentation en allemand et anglais

 

Un peu d’histoire est ici nécessaire, car Walter Felsenstein a beau être une légende du théâtre lyrique allemand, on le connaît fort peu en France, où aucune de ses productions n’a laissé de trace dans la mémoire lyrique collective, bien que Paris avait reçu la visite de sa merveilleuse Petite renarde rusée en 1957 puis des Contes d’Hoffmann dans le cadre du Théâtre des Nations. Refondateur de la Komische Oper de Berlin-Est en 1947, il en resta le directeur jusqu’à sa mort en 1975, après y avoir produit plus d’une centaine de spectacles, dont nombre marquèrent l’époque, et établi un standard de qualité inégalé alors, osant le drame expressionniste, la comédie de genre, la grandiloquence historique, le kitsch drolatique autant que la critique réaliste, car pour lui chaque œuvre exposait haut et fort l’idée que l’opéra c’est avant tout du théâtre. Les sept films réalisés durant cette période glorieuse exposent une direction d’acteurs percutante, et non « opératique », comme le pratiquait une tradition paresseuse dépassée, ni « abstraite » façon Wieland Wagner son contemporain - et grand admirateur. Cela restera la marque personnelle d’un directeur de scène fasciné par l’exigence (trois mois de répétitions pour chaque spectacle alors), la précision et la vérité de l’acteur.

Les Contes d’Hoffmann font partie de ce fonds sauvegardé. Ils connurent un triomphe durable à partir de 1958, toutefois ce n’est pas le spectacle qui est ici capté sur le vif, mais un film de studio, réalisé par Felsenstein lui-même, en 1970, aux studios DEFA de Babelsberg, film qui en adapte la production, en particulier aux 3 actes centraux qui profitent des vastes dimensions des studios de cinéma pour gagner en ampleur visuelle, tout en en conservant la majorité de la distribution.

En 1958, Les Contes, c’est partout la version Choudens, et Felsenstein sera l’un des premiers à se pencher, avant même Richard Bonynge, sur le plan musical, et Patrice Chéreau, sur le plan dramatique, sur l’idée de revenir à la version originale perdue, sans disposer de tout ce qui a pu être redécouvert depuis 40 ans. Souhaitant accentuer la théâtralité du  continuum, et revenant à la première idée d’Offenbach d’un opéra-comique, avec dialogues parlés, il taille et reconstruit, élimine surtout Guiraud et ses récitatifs, pour réécrire des dialogues plus tendus, plus réalistes, plus présents, et retravailler la partition avec l’aide de Karl-Fritz Voigtmann, qui dirige ici cet enregistrement, un peu à l’emporte pièce parfois.

Mais la direction d’acteurs fait merveille. Suivez la ballade de Kleinzach :  certes Hoffmann est au centre  de l’image, agité, passionné, mais ce que la caméra montre des habitués de la taverne de Luther alentour, fascinés, et hyper-vivants, est preuve de ce sens du théâtre de chaque instant. Difficile, malgré le vieillissement du style décoratif de Rudolf Heinrich et Rudolf Zimmermann, de ne pas être scotché à son écran, tant la technique de scène, et la maîtrise de sa captation, sont impressionnantes.

Certes, il s’agit bien d’un film-opéra, avec le défaut majeur du genre, la synchronisation voix-lèvres qui n’est pas toujours parfaite, mais la force du produit suffit à l’oublier bientôt. Néanmoins il a d’autres points faibles, qu’on ne peut cacher : ce sont ici les Erzählungen, et non Les Contes,  en langue allemande donc, comme tout ce qu’on produisait dans ce théâtre populaire, et la distribution n’est pas sans défaut. Hanns Nocker se défonce, mais chante d’une voix dure, nasale, sonore, dont les micros soulignent le manque de charme, même si elle est parfaitement émise, avec son aigu dardé. Et son physique rondouillard n’est pas non plus idéal pour incarner le poète romantique défait par excellence. Melita Muszely est, elle aussi, un peu mûre, à cette époque de sa carrière, pour Antonia en particulier, mais réussit particulièrement sa poupée, sans démériter en courtisane, et sa voix de soprano colorature tient l’ensemble sans faille, mais sans éblouissement. Rudolf Asmus campe lui les quatre vilains avec une présence un peu bonhomme, et des qualités vocales parfaitement appréciables, tandis que Werner Bauer incarne lui les quatre comiques en un bouquet de personnalités bien varié. Sylvia Kuziemski est enfin une Muse-Nicklaus fort jeune, qui n’a guère que sa Poupée aux yeux d’émail pour briller joliment. La bande son, très favorable aux voix du théâtre, met trop souvent l’orchestre en arrière face au chant. Cela ne sauve pas les chœurs non plus, captés assez ingratement. Mais ne boudons pas notre chance. À la même époque, en Allemagne de l’Ouest, en Italie, personne n’eut l’idée de filmer en studio quelques productions de Wieland Wagner et de Luchino  Visconti, les égaux de Felsenstein. Notre patrimoine en serait d’autant plus riche !

Question patrimoine justement, en 2009, ArtHaus éditait un luxueux coffret rassemblant en DVD les sept  opéras filmés entre 1956 et 1976 - bientôt repris en DVD séparés - et complétés d’un matériel éditorial de première qualité. La présente réédition a l’avantage d’un traitement de remasterisation 4K qui offre plus de luminosité aux couleurs comme à l’image globale, restituées à leur splendeur originelle. Mais c’est pour faire disparaître le 2ème DVD de l’édition antérieure, qui comporte les 32 minutes d’une captation TV live de 1958, à comparer avec le produit de studio final. Dans un noir et blanc charbonneux, et des moyens techniques limités, on retrouve, 12 ans plus tôt, la voix de Nocker, autrement lyrique, celle de Muszely plus  rayonnante, et pour Antonia, plus incarnée, et le même orchestre dirigé par Vaclav Neumann, avec en sus le scénario complet de la production - en français - accompagné de nombre de dessins de décors et costumes, bonus passionnant qu’il eut été facile de proposer au moins dans l’édition Bluray, sans passer à un 2ème disque. Dommage ! Car il faudra désormais choisir entre la vieille édition plus riche, encore en vente, et la nouvelle, plus lumineuse.

Au final, c’est là un document exceptionnel, qui comme chacun des six autres films réalisés alors, nous plonge dans l’histoire de la mise en scène comme rarement pour l’époque.


Pierre Flinois