Hélène Guilmette (Mahénu), Cyrille Dubois (Georges de Kerven, dit Loti), Anaïk Morel (Oréna), Artavazd Sargsyan (Tsen-Lee, Premier officier), Ludivine Gombert (Téria, Faïmana), Thomas Dolié (Taïrapa, Henri, Second officier). Orchestre de la Radio de Munich, Chœur du Concert Spirituel, dir. Hervé Niquet (enr. 24 & 26 janvier 2020, Prinzregententheater de Munich).
Palazzetto Bru Zane vol. 26. Présentation bilingue (fr. angl.). Distr. Outhere.

 

Son professeur Massenet y eût sans doute mis plus de puissance, mais le coup d’essai d’un Reynaldo Hahn de 20 ans n’est-il pas, déjà, un petit coup de maître ? Sensualité des harmonies, bonheur des combinaisons de timbres, art de la suggestion et de la brièveté : cette Île du rêve, lever de rideau d’une heure – mais en trois actes – vous régalera. Tirée du Mariage de Loti, l’histoire rappelle des souvenirs : comme le Gérald de Lakmé, le Pierre de Madame Chrysanthème (futur Pinkerton de Puccini), le lieutenant de Kerven – « dit Loti » – quitte le « pays qui meurt de volupté » sans la jolie petite Tahitienne dont il a brisé le cœur, alors qu’il était pourtant prêt à l’emmener. Une intrigue typique du temps des colonies, sur fond d’exotisme capiteux. Achevée en 1894, créée en 1898 à l’Opéra-Comique par Messager, l’œuvre ainsi que son auteur s’attirèrent surtout, pour diverses raisons, des critiques condescendantes ou méprisantes : après neuf représentations, L’Île du rêve disparaissait de l’affiche.

Pour cette résurrection, le Palazzetto a une fois de plus trouvé la distribution adéquate : aussi juvéniles que stylés, Hélène Guilmette et Cyrille Dubois forment le plus beau couple qui soit. Ludivine Gombert phrase les égarements de Téria, la sœur de Mahénu, autrefois unie au frère de Kerven, dont on lui apprend la mort. Thomas Dolié a la noblesse du père de Mahénu, qui lit la Bible et bénit les jeunes amants sur une musique d’un néoclassicisme archaïsant, Artavazd Sargsyan met de la distinction dans le ridicule du libidineux marchand chinois, Anaïk Morel incarne la sagesse désenchantée de la princesse Oréna. Et l’on entend ici un Hervé Niquet plus subtil qu’à l’accoutumée : cette Île du rêve ne doit pas rester île inconnue.


Didier van Moere