Sally Matthews (Rusalka), Evan Leroy Johnson (Le Prince), Alexander Roslavets (Vodnik), Patricia Bardon (Jezibaba), Zoya Tsererina (La Princesse étrangère), Colin Jusdon (Le Garde forestier), Alix Le Saux (Le Marmiton), Vuvu Mpofu, Anna Pennisi, Alyona Abramova (Les Nymphes des bois), The Glyndebourne Chorus, London Philharmonic Orchestra, dir. Robin Ticciati, mise en scène : Melly Still (2019)
DVD Opus Arte OA 1302. 2h33’. Notes de présentation en anglais. Distr. DistrArt Musique.

 

En 2009, la première Rusalka du Festival de Glyndebourne remportait un grand succès. La voici filmée lors de sa seconde reprise, l’été 2019, avec une distribution totalement différente de celle de l’excellente captation audio de la première année, éditée par le Festival en 2010, mais sans grand changement sur le plan scénique, assez décevant en fait.

La psychanalyse a depuis longtemps porté son regard sur cette « petite sirène » slave, renvoyant son lac perdu dans la forêt et son palais en fête à d’autres façons que celles d’un romantisme naturaliste longtemps de mise (le DVD en témoigne encore avec la production signée Otto Schenk et Günther Schneider-Siemssen au Met), pour nous dire combien ce conte triste nous parle avant tout de nous, à travers nos comportements fondamentaux. Mais ici, Melly Still, fêtée en Grande-Bretagne pour ses productions au National Theater et à la Shakespeare Company, en reste avant tout à la narration du conte, ignorant ce qu’ont montré David Pountney à l’ENO, Robert Carsen à Paris, Stefan Herheim à Bruxelles (tous disponibles en DVD), sans parler de Martin Kusej à Munich. On assistera donc à la composition réaliste du breuvage de la sorcière, arrachant un œil à une chouette et étripant un chat (des peluches inertes, bien sûr), on verra Rusalka enlever sa petite culotte au moment de l’étreinte avec le Prince, et avoir bien du mal à enfiler ses chaussures rouges de princesse, et tout aussi embarrassée de sa robe de mariage… Un réalisme qui pourrait faire sens s’il ne frisait souvent la maladresse, le prosaïsme s’entendant bien mal avec la partition. Le résultat, finalement assez conventionnel, dans l’esprit d’un Peter Hall s’attaquant à Salomé voici 30 ans - on reste en Angleterre - s’offre comme relativement laid, avec un décor confus, à force d’ombre et de mélange de couleurs, des costumes peu seyants, en particulier celui de long ver de Rusalka avant sa métamorphose, comme de ses sœurs renvoyant à la Madame Mim du Merlin de Disney… le tout signé Rae Smith. Ajoutons, malgré quelques effets étonnants, comme les six naïades à longue nageoire caudale suspendues dans l’espace, l’abus de danseurs au premier acte, la banalité de la fête au suivant, la direction d’acteurs incapable de donner de la personnalité au Prince comme à la Princesse étrangère, des défauts qu’on notait déjà dans le DVD de la Petite Renarde de Glyndebourne de 2012, mise en scène par la même Melly Still.

Malheureusement, si la partition est fort bien servie par Robin Ticciati, qui en exprime le lyrisme charmeur autant que la détresse profonde d’une battue légère et enlevée, et si le LSO montre une fois de plus ses qualités de style et de couleurs dans ce répertoire slave qu’il a déjà fort bien servi avec Janáček et Smetana au Festival, les voix ne donnent pas les mêmes satisfactions.

Certes, le Marmiton d’Alix Le Saux est délicieux, le Garde forestier de Colin Judson est excellent, comme tous les petits rôles, et le radieux trio des naïades. Patricia Bardon est une Jezibaba plus subtile, plus aimable et moins tonitruante que d’autres. Quant à Alexander Roslavets, il propose un Vodnik très lyrique, exprimant plus de sympathie que d’autorité. Mais si la Princesse a une vocalité impérieuse, elle est trahie par un aigu tendu jusqu’au cri, tristement détimbré. Evan Leroy Johnson commence lui aussi tendu, instable, mais s’améliore bientôt : la voix est chaleureuse, et il s’impose au duo final avec une élégance de ligne rare, sinon avec beaucoup de subtilité. Reste la Rusalka de Sally Matthews, un rien trop en chair pour paraître en dessous féminins pour une ondine diaphane - là, la caméra de François Roussillon est impitoyable pour la mise en scène -, avec son médium et son grave généreux, son aigu autrement assuré qu’en d’autres occasions récentes, sinon radieusement séduisant : il y traîne toujours une fêlure du timbre qui le rend attachant, sinon éblouissant, mais qui peut tout aussi bien indisposer.

Si tout cela ne fait qu’une honorable production, c’est dans les versions citées plus haut qu’on continuera à fréquenter le chef-d’œuvre de Dvořák pour sa beauté comme sa modernité.

 

Pierre Flinois