Laurent Naouri (Don César de Bazan), Elsa Dreisig (Maritana), Marion Lebègue (Lazarille), Thomas Bettinger (Charles II), Christian Helmer (Don José), Christian Moungoungou (le Capitaine de la garde). Ensemble Aedes, Orchestre des Frivolités parisiennes, dir. Mathieu Romano (enr. Théâtre impérial de Compiègne, 13-17 fév. 2019)
Naxos (2 CD) 8-660464-65. Présentation et synopsis bilingues (angl., fr.). Distr. Outhere.

C’est Massenet avant Massenet. En 1872, cinq ans avant le triomphe du Roi de Lahore, son deuxième ouvrage lyrique met en musique une histoire dont le héros vient de Hugo : revoici le pittoresque Don César de Bazan, transfuge de Ruy Blas. Histoire assez invraisemblable au demeurant : la chanteuse des rues Maritana est courtisée par le roi d’Espagne Charles II, dont le tortueux premier ministre Don José favorise les amours afin de devenir lui-même l’amant de la reine. Celui-ci imagine de faire épouser la chanteuse par Don César pour la rendre présentable à la cour, juste avant que le pauvre homme soit exécuté à cause d’un duel pendant la semaine sainte. N’écoutant que son bon cœur, Don César a en effet voulu sauver le jeune Lazarille des mains d’un capitaine de la garde, mais le jeune homme lui évitera l’échafaud. Et finalement le héros et la chanteuse s’éprendront l’un de l’autre…

Ne nous y trompons pas. Ce Massenet d’avant Massenet, s’il a visiblement écouté Gounod, est déjà lui-même dans certaines pages, telles la Romance de Lazarille ou le duo entre Maritana et Don César. Les multiples espagnolades, comme l’air d’entrée de Maritana ou la Sevillana introduisant au troisième acte, annoncent quant à elles Le Cid et Don Quichotte : Bizet s’en serait-il inspiré pour sa Carmen à venir ? Ne nous étonnons pas non plus que Massenet ait pris plaisir à un livret comique : le compositeur de Manon et de Werther, de Grisélidis ou de Don Quichotte, se plaira à mélanger les genres. La partition de 1872 brûla en 1887 dans l’incendie de la salle Favart où on l’avait créée – avec la future Carmen et le futur Don José en Lazarille et en Charles II – et Massenet la réécrivit un an plus tard : au Roi de Lahore avaient alors succédé Manon et Le Cid, il était déjà un maître de la voix et de l’orchestre et cela se sent, plus sans doute que dans la version originelle telle qu’on peut l’imaginer.

Après en avoir dirigé plusieurs représentations en 2016, Mathieu Romano a enregistré l’œuvre trois ans plus tard. Il a aussi cherché à reconstituer la version originale, dont certains numéros ont dû être réinstrumentés. L’ensemble, ainsi, se tient parfaitement, dirigé avec la légèreté et la verdeur qu’il faut à la tête d’un bon orchestre et de l’excellent Aedes. Don César, ruiné mais généreux, va comme un gant à Laurent Naouri, qui en a le panache sans relâcher sa ligne. Elsa Dreisig, timbre fruité, est à la fois brillante et délicieuse en Maritana, Marion Lebègue, timbre chaud, impeccable et émouvante en Lazarille – écoutez la Berceuse du deuxième acte. Christian Helmer a du relief en Don José, notamment dans le duo comique avec Don César, Thomas Bettinger du style et de l’aigu en Charles II. Mais pourquoi diable, quand on tient sous la main une distribution française, se priver des dialogues et réduire l’opéra-comique à une suite de numéros musicaux ? Rien de tel pour passer à côté de la Révérence. En attendant, c’est musicalement savoureux.



Didier van Moere