Eric Cutler (Idomeneo), David Portillo (Idamante), Anett Fritsch (Ilia), Eleonora Buratto (Elettra), Benjamin Hulett (Arbace), Oliver Johnston (Gran Sacerdote di Nettuno), Alexander Tsymbalyuk (La Voce), Chœur et Orchestre du Teatro Real de Madrid, dir. Ivor Bolton. Mise en scène : Robert Carsen (Madrid 2019).
Opus Arte OA 1317D. Notice en anglais. Distr. DistrArt Musique.


Robert Carsen a voulu donner d'Idoménée une vision actuelle et il en a transposé l'action dans un univers dominé par les conséquences d'une guerre à peine terminée et par la menace d'un nouveau conflit. Dans le décor quasiment unique d'une grève désertique que les seules vidéos de Will Duke viennent animer de ciels ou de flots lourdement menaçants, sa mise en scène déploie dans une ambiance glauque, dominée par les bruns et les gris, un univers militarisé où hommes et femmes portent l'uniforme, à l'exception bien sûr d'Ilia et des prisonniers troyens dont elle fait un peuple de réfugiés. Si ce parti pris lui permet de mettre en valeur la dimension humaine, les conflits larvaires et le caractère foncièrement tragique de l'opéra, il a pour conséquence une certaine monotonie (accentuée par la captation et la vastitude du plateau où paraissent un peu perdues les scènes intimes). Certes, son approche culmine dans la grande scène du sacrifice à l'acte III, particulièrement émouvante et efficiente dans ce contexte où les protagonistes sont totalement mis à nu dans leurs sentiments, mais la mise en scène contrainte par son concept ne peut éviter quelques solutions décalées, comme l'intermezzo célébrant Neptune transformé en scène de beuverie soldatesque, quand elles ne sont pas franchement naïves, telle cette conclusion au premier degré où, après avoir jeté ses armes à l'instigation d'Idamante, le chœur se débarrasse de ses uniformes en chantant la gloire de l'amour et de l'hymen.

Avec une voix large et puissante, Eric Cutler se révèle un Idoménée très investi auquel sa haute stature confère une grande crédibilité scénique et qui rend pleinement justice aux exigences vocales de son rôle, comme à son caractère profondément tourmenté, même s'il choisit une version légèrement allégée de son grand air à vocalises de l'acte II. David Portillo offre à Idamante une voix de ténor lyrique léger bien conduite qui n'évite pas toujours un rien de mièvrerie, inhérente, il est vrai, au personnage, dans cette version de Munich qui en adaptant un rôle initialement conçu pour un castrat l'a considérablement affadi. Anett Fritsch offre à Ilia une voix souple et un timbre très pur, gérant avec finesse le mélange de candeur et d'angoisse du personnage. Eleonora Buratto, bien que très à l'aise dans la tessiture d'Elettra et brillante vocalement, paraît toutefois un peu extérieure à son rôle. Une mention pour l'Arbace de Benjamin Hulett dont le grand récitatif accompagné « Sventurata Sidon », mené avec une remarquable sensibilité, fait regretter que le grand air qui suit ait été coupé. D'excellents seconds rôles - le Grand Prêtre de Neptune et l'Oracle final -, des chœurs remarquablement préparés et un orchestre auquel la direction très engagée d'Ivor Bolton apporte tout le relief et la vitalité nécessaires, servent bien le dramatisme de cette version resserrée qui, sans bousculer les références, offre une lecture assez pertinente sinon pleinement convaincante du premier chef-d'œuvre mozartien.


Alfred Caron