Jenny Campanella (l’Ombra di Circe), Teresa Nesci (Zeffiro), Marco Scavazza (Algido), Concerto madrigalesco, dir. Luca Guglielmi (live 2008).
Stradivarius 37040 (1 CD). 52’. Notice en italien et anglais. Distr. DistrArt Musique.

Cette operetta ou sérénade à trois voix est l’une des toutes premières partitions de son auteur à nous avoir été conservées – Alessandro Stradella (1639-1682) n’était alors guère connu que pour quelques scènes et prologues ajoutés aux opéras d’autrui. Œuvre de circonstance, Circé (1668) est commandée par la princesse Olimpia Aldobrandini pour fêter l’élection de Léopold de Médicis au grade de cardinal : destinée à être donnée dans les jardins ou les salons de la Villa Belvedere de Frascati, elle met en scène trois personnages mythologiques dont l’unique préoccupation consiste à célébrer dignement l’événement. L’Ombre de la magicienne Circé (soprano) se ligue ainsi à Zéphyr (castrat soprano) et au fleuve Algido (basse) afin d’offrir au nouveau cardinal les plus beaux fruits nés de la rencontre des trois principaux Éléments (la Terre, l’Air et l’Eau, Léopold représentant sans doute le Feu). Trois voix, deux violons et le continuo : dimensions, prétentions, exigences vocales restent modestes, et le langage du jeune Stradella proche de celui d’un Cavalli (qui était alors encore vivant) – on trouve même ici un passage en écho, si fréquent dans les partitions de Monteverdi et de son successeur. Mais, au centre de l’œuvre, on voit se multiplier les arie, souvent de rythme ternaire, parfois à deux ou trois voix, et les scènes initiale et finale, au fil desquelles le récitatif apparaît ponctué par d’expressives ritournelles et se mue en arioso, annoncent les pages les plus théâtrales de l’auteur, voire l’art d’Alessandro Scarlatti.

Captée « sur le vif » dans un espace profond et réverbéré (une église de Genève), l’interprétation n’est pas dépourvue de fragilités : Teresa Nesci affiche un timbre de jeune garçon un peu plat, Jenny Campanella une diction bien évanescente et le grave de Marco Scavazza se dérobe parfois. Néanmoins, la partition est abordée avec une émotion qu’intensifie le beau travail des cinq membres du Concerto madrigalesco, dont les sonorités alternent et se mêlent avec goût. Les trois pièces instrumentales données en complément, outre qu’elles confirment le génie visionnaire du compositeur (digne émule de Rosenmüller et de Corelli), nous font mieux percevoir les particularités de la lecture : si, dans la superbe Sonate 22, le jeu du violoniste Davide Monti et de ses complices se montre moins « propre », moins flamboyant que celui de The Rare Fruits Council de Manfredo Kraemer (Venezia, Ambronay, 2010), il se révèle, en définitive, plus intériorisé, plus contrasté – plus « senti »…

Olivier Rouvière