Ekaterina Kudriavchenko (Marfa), Arkady Mishenkin (Ivan Lykov), Vladislav Verestnikov (Grigori Griaznoï), Nina Terentieva (Lioubacha), Vladimir Kudriashov (Bomelius), Piotr Gluboky (Vassili Sobakine), Elena Okolysheva (Douniacha), Irina Udalova (Domna Sabourova), Nikolaï Nizienko (Maliouta Skouratov), Orchestre du Bolchoï et Chœur académique russe Sveshnikov, dir. Andrey Chistiakov (1972).
Brilliant 93969 (2 CD). Notes et synopsis en anglais. Distr. DistrArt Musique.

Malgré son sujet hautement dramatique et sa riche invention mélodique, La Fiancée du tsar n'a curieusement jamais réussi à s'imposer sur les scènes occidentales. Régulièrement repris en Russie, l'opéra évoque le destin tragique de Marfa Sobakina, troisième épouse d'Ivan le Terrible morte quelques jours après son mariage, peut-être empoisonnée. C'est la thèse retenue par Léon Mey, auteur de la pièce à l'origine du livret rédigé par Rimski-Korsakov et Ilya Tioumenev. Si les ficelles du mélodrame sont un peu grosses, la partition recèle plusieurs pages qui s'imprègnent durablement en notre mémoire, à commencer par la déchirante chanson de Lioubacha au premier acte et les deux airs absolument magnifiques de Marfa.

Las, le rôle-titre de cette version enregistrée à Moscou en 1972 trouve en Ekaterina Kudriavchenko une soprano soucieuse de nuances et capable d'émettre de beaux aigus pianissimi, mais dont le timbre terne et un peu usé n'a rien de juvénile. Les tendres épanchements du deuxième acte laissent de marbre et la scène de la folie ne convainc guère davantage. Pour qui conserve en tête la splendide interprétation que Galina Vichnevskaïa confiait aux micros l'année suivante avec les mêmes forces du Bolchoï sous la direction de Fouat Mansourov (Le Chant du monde), la comparaison est pour le moins cruelle. Lioubacha est beaucoup mieux servie par Nina Terentieva, mezzo à la voix ample capable d'exprimer aussi bien le désarroi amoureux que la fureur vengeresse. Du côté des hommes, on retient surtout la somptueuse basse Piotr Gluboky, dont le Vassili Sobakine (père de Marfa) est la bonté même. Vladislav Verestnikov campe un Grigori Griaznoï très juste dans l'expression de sa passion destructrice pour Marfa, tandis que Nikolaï Nizienko est un Maliouta Skouratov aux moyens quelque peu modestes pour le redoutable chef des opritchniks et des bourreaux du tsar Ivan IV. Enfin, le ténor Arkady Mishenkin s'acquitte avec honnêteté mais sans grand relief du rôle plutôt inconsistant d'Ivan Lykov, jeune boyard amoureux de Marfa.

Remarquable dans les chants à saveur folklorique comme « Le Houblon », le chœur s'avère moins satisfaisant dans les grands moments dramatiques, en raison de la direction routinière d'Andrey Chistiakov. Plus à l'aise dans les passages élégiaques, le chef rate le finale du troisième acte – au cours duquel l'annonce du mariage de Marfa doit se faire l'écho de la volonté écrasante du tsar et provoquer la stupéfaction générale – et retient trop ses musiciens dans les explosions pathétiques du dernier acte. Souhaitons que, sous la houlette de Tugan Sokhiev, les forces du Bolchoï sachent servir l'œuvre avec plus de mordant lors du concert programmé à la Philharmonie de Paris le 13 mars 2021.

 

Louis Bilodeau