Matt Boehler (le roi Hjarne), Ashraf Sewailam (Drokan), Tamara Mumford (la reine Gertrude), Alasdair Kent (Frederic, Toke), Sarah Shafer (la princesse Lyra), David Portillo (Benjamin), Alex Rosen (Corbin), Odense Symfoniorkester et Bridge Academy Singers, dir. David Starobin et Benjamin Shwartz (enr. 2016-2018).
Bridge 9527. Livret en anglais avec le découpage, le texte de l’opéra et les notices biographiques. Distr. DistrArt Musique.

Pour ceux qui recherchent un opéra façon Tim Burton, proche de la comédie musicale et de la musique de film : l’opéra The Thirteenth Child de Poul Ruders est pour eux. Pour les autres, passez votre chemin. L’histoire s’inspire d’un récit méconnu des frères Grimm, Les Douze frères : le treizième enfant d’un roi paranoïaque, une petite fille de dix ans, part à la recherche de ses douze frères mystérieusement disparus dans forêt enchantée ; transformés en corbeaux, ces derniers ne pourront être délivrés que si leur cadette respecte un vœu de mutisme durant sept ans.

Pour adapter ce conte à la scène, les auteurs ont choisi de profondément modifier le scénario original, au détriment de la cohérence et de l’unité dramatique : des symboles contradictoires éparpillent l’intensité du propos ; de nouveaux personnages sont créés (un vilain, pervers jusque dans les moindres détails, son fils, amoureux transi, le fantôme de la reine) ; plusieurs enjeux dramaturgiques se font mutuellement de l’ombre, ce qui rend l’histoire confuse, là où l’un des principes du conte est d’offrir des possibilités d’identification explicites. D’autant plus que la caricature l’emporte sur l’archétype, le tout dans une esthétique néo-gothique de carton pâte : le roi Hjarne de Frohagord, le vilain Drokan, régent du Hauven, la reine Gertrude et sa fille Lyra...

Le style éclectique de Poul Ruders est difficilement qualifiable : les interludes orchestraux reprennent les clichés des œuvres expressionnistes du siècle dernier ; les arias, ceux d’une romance néoclassique ; les tutti de chœur, ceux d’une comédie musicale. Tous les poncifs d’un Walt Disney sont mis à contribution : le vilain méchant a une grosse voix et le pauvre fantôme chevrote des répliques saturées d’écho, la forêt enchantée est dépeinte à grand renfort de célesta et trémolos et pour la scène d’amour, on ne nous épargne pas l’habituel épisode de mièvrerie. Le compositeur va jusqu’à accompagner toute occurrence du mot « étoile » par le motif de la Fée Clochette ! Finalement, la partition, en concordance parfaite avec le sens univoque du livret, est sans surprise.

La direction musicale renforce ces attendus : le premier chef, David Starobin, chargé de la musique vocale et de l’acte II, suit cette veine du film hollywoodien, avec une direction lyrique, parfois très sirupeuse. Le second, Benjamin Shwartz, pour l’acte I et les interludes orchestraux, insiste sur le drame, l’action et le suspens, par une direction plus sèche et dynamique. L’équipe vocale est superbe, mais elle aussi très prévisible ; les timbres dessinent des portraits sans mystère : l’exaltation niaise du jeune amoureux (Alasdair Kent), le roi suspicieux (Matt Boehler), l’amour maternel dépossédé (Tamara Mumford), l’innocence de la princesse (Sarah Shafer), la fourberie du méchant cousin (Ashraf Sewailam).

En réalité, si on replace cette production assez kitsch dans le contexte artistique de son temps, on ne peut que s’interroger sur le sens qu’un créateur d’opéra cherche à nous transmettre et sur nos propres attentes, alors que le genre est devenu pluriel et qu’il renvoie autant aux expérimentations électroacoustiques, digitales, numériques, au théâtre musical, aux questionnements sur l’immersion du public et à sa participation qu’au rôle politique de la scène. Si la féérie a tout à fait sa place dans cette recherche qui touche aussi à l’esthétique et à la problématique du divertissement, quels sont les enjeux de sa représentation au XXIe siècle ? Si l’on ne peut que reconnaître l’efficacité de l’écriture orchestrale et vocale de cet opéra court (il dure moins d’1h30), les doutes subsistent quant à la tentation anecdotique de l’œuvre : une fois la pièce écoutée, il n’en reste qu’une impression confuse et un sentiment d’ennui.

 

Raphaëlle Blin