Orfeo C980120. 22 CD. Synopsis bilingues (all., angl.). Distr. DistrArt Musique.


150 ans, ça se fête ! L’Opéra de Vienne nous offre ainsi neuf productions s’étalant sur six décennies, de 1955 à 2016. Des choix difficiles, évidemment critiquables, sur lesquels il est vain de gloser. Jugeons plutôt sur pièces, sans nous attarder sur ce qui a déjà été présenté dans nos colonnes : le Wozzeck (1955) et l’Elektra (1965) de Karl Böhm (voir les ASO n° 148 et 92), le Fidelio (1962) (ASO n° 246) et Les Noces de Figaro (1977) de Karajan. Restent donc cinq productions.

Le savoureux et virtuose Voyage à Reims d’Abbado (1988) ne fait pas tout à fait doublon par rapport à la version studio de quatre ans antérieure : Montserrat Caballé, diva finissante, remplace Katia Ricciarelli, Frank Lopardo Eduardo Giménez, Chris Merritt Francisco Araiza, Ferruccio Furlanetto Samuel Ramey. Le live est plus vivant, même si l’on préfère Giménez et Ramey.

Excellente soirée de répertoire, le Tristan et Isolde de Franz Welser-Möst (2013) ne peut se hisser au sommet de la discographie, malgré Nina Stemme, telle qu’en elle-même mais aux aigus parfois instables, et Peter Seiffert, Tristan émouvant, humain, fragile même, stylé surtout, un peu alla Windgassen : les autres rôles n’ont rien de mémorable. La direction distille des raffinements chambristes plus qu’elle n’allume un brasier.

Eugène Onéguine (2013), en revanche, se situe très haut, même si Anna Netrebko, superbe vocalement, est plus Princesse Grémine que jeune fille frémissante. Le magnifique Dmitri Hvorostovsky déploie une séduction trouble à laquelle on ne résiste pas et le raffinement du Lenski rêveur et élégiaque de Dmitry Korchak s’inscrit dans la lignée des Kozlowski et des Lemechev. Porteur d’une lecture assez sombre, Andris Nelsons n’est pas moins attentif aux timbres qu’au théâtre.

Presque sur la même marche on mettra l’Ariane à Naxos (2017) dirigée par un Christian Thielemann transparent, subtil et sensuel, moins séduisant dans le Prologue. L’Ariane lumineuse de Soile Isokoski, le Bacchus aussi stylé que vaillant de Johan Botha, le Compositeur toujours de référence de Sophie Koch suffisent à faire le prix de cette soirée – que ternit un peu la Zerbinette limitée de Daniela Fally.

On descend d’un cran avec le Bal masqué (2016) inégal de Jesús López Cobos, dominé par l’Amelia à la fois irradiante et tourmentée de Krassimira Stoyanova, dont le spinto se déploie en un chant d’école. Superbe Piotr Beczała aussi en Gustave III, mais auquel on a peut-être connu plus de panache. Passons sur la sorcière débraillée de Nadia Krasteva, l’Oscar insuffisant de Hila Fahima, le Renato fatigué de Dmitri Hvorostovsky.

Sommes-nous passéiste ou nostalgique ? Les deux CD de bonus nous ont parfois réservé les plaisirs les plus intenses. On connaissait tout, certes, mais, par exemple, Maria Reining et Sena Jurinac dans Le Chevalier à la rose (1955) de Knappertsbusch, Lisa della Casa et Anneliese Rothenberger dans l’Arabella (1964) de Keilberth, Eberhard Waechter et Nicolai Ghiaurov dans le Simon Boccanegra (1969) de Josef Krips, Ileana Cotrubas et Nicolai Gedda dans La Traviata (1971) du même Krips, Gundula Janowitz et Franco Corelli dans le Don Carlo (1970) de Horst Stein et aussi, plus près de nous, Angela Denoke dans la Lady chostakovienne (2009) d’Ingo Metzmacher… Quelques minutes qui, chaque fois, suffisent à vous faire chavirer. Mais pas de cerise sur le gâteau : rien que des synopsis, aucune présentation. Pour 150 bougies, ça fait un peu pingre…

Didier van Moere