María Rey-Joly (Agnese), Markus Werba (Uberto), Edgardo Rocha (Ernesto), Filippo Morace (Don Pasquale), Andrea Giovannini (Don Girolamo), Lucia Cirillo (Carlotta), Giuilia Della Peruta (Vespina), Orchestre et chœur du Teatro regio de Turin, dir. Diego Fasolis, mise en scène : Leo Muscato (2019).
Dynamic (2 DVD) 37850. Notice en italien et en anglais. Distr. Outhere.


Le mélange de sentimentalisme et d’humour qui caractérise le semiseria nous paraît aujourd’hui bien étrange. L’Agnese de Ferdinando Paër, sans doute le plus célèbre de tous ses opéras, qui occupa les scènes européennes avec un succès jamais démenti de sa création en 1809 à Parme à son ultime reprise au Théâtre-Italien à Paris en 1824, dans une version révisée pour la Pasta et le ténor Marco Bordogni, en est sans doute un des meilleurs exemples et pourrait constituer un véritable prototype du genre. Le metteur en scène de cette production, Leo Muscato, l’a bien compris et a su intégrer les deux éléments apparemment contradictoires qui le composent dans une production pleine de finesse, qui joue sur une certaine ironie pour nous raconter l’histoire de la folie et de la guérison du comte Uberto, traumatisé par la disparition de sa fille Agnès, enfuie avec un aventurier qui l’a finalement abandonnée, et qui revient sept ans plus tard, pleine de remords, pour tenter de sauver son père. Aux deux personnages nobles d’Agnès et de son amant Ernesto, s’exprimant dans le langage seria, viennent faire contrepoids le demi-caractère du comte Uberto et un ensemble de personnages légers, le directeur de l’asile et sa fille, le médecin et la servante Vespina, tout droit sortis de l'opéra bouffe napolitain. Chacune de leurs interventions offre au spectateur des moments où la tension se relâche et, dans les ensembles, un contrepoint intéressant à des situations qui pourraient sinon paraître un peu convenues. La scénographie qui fait apparaître chaque personnage dans une boîte (à médicaments)  qui s’ouvre pour représenter son univers (la forêt où erre au premier tableau Agnès, le bureau du directeur, la cellule puis la chambre à coucher du fou) exprime métaphoriquement l’idée de l’enfermement et se révèle remarquablement fonctionnelle pour gérer les nombreux changements de lieux au fil des deux actes.

La musique de Paër se situe à la jonction de deux époques et de plusieurs styles, influencée par le classicisme viennois (on y entend quelques échos mozartiens) mais regardant aussi vers cette virtuosité vocale typiquement rossinienne qui influença les deux premières décennies du XIXe siècle. Le compositeur paraît nettement plus inventif dans le registre léger et le demi-caractère que dans le seria pur mais il dépeint musicalement de façon très originale la folie d'Uberto. Il se montre également un brillant orchestrateur et, malgré l'éclectisme de son inspiration, parvient à donner une véritable cohérence à l'ensemble, remarquablement soutenu ici par une excellente distribution. Dans le rôle-titre, la soprano espagnole María Rey-Joly offre une grande voix lyrique et tout le pathétique souhaitable à son personnage. La virtuosité d’Edgardo Rocha s’épanouit pleinement dans les deux grands airs néo-rossiniens d’Ernesto, l’amoureux repenti de l’héroïne, traité ici au second degré. Filippo Morace et la piquante Giulia Della Peruta apportent aux deux rôles bouffes principaux toute la finesse et l’humour léger qu’ils réclament, mais ni la Carlotta de Lucia Cirillo ni surtout le médecin d'Andrea Giovannini ne sont en reste. Dans le rôle central d’Uberto, Markus Werba se révèle non seulement un excellent vocaliste mais également un remarquable acteur donnant toute la crédibilité possible à son personnage de fou délirant. Un excellent chœur, un orchestre de très haut niveau où le clavecin de Carlo Caputo crée la continuité avec les récitatifs secs, l'ensemble dirigé avec conviction par un chef qui croit pleinement à l’œuvre et lui impulse un véritable rythme dramatique font de cette résurrection, mieux qu'une curiosité, une occasion rare de comprendre le goût d'une époque et d'en apprécier la subtilité.

Alfred Caron