Alfred Deller (Sosarme), Margaret Ritchie (Elmira), William Herbert (Haliate), Nancy Evans (Erenice), Helen Watts (Melo), Ian Wallace (Altomaro), John Kentish (Argone), St. Anthony Singers, The Saint Cecilia Orchestra, dir. Anthony Lewis.
Decca Eloquence 482 8582 (2 CD). 2h28. 1955. Notice en anglais. Distr. Socadisc.

Il s’agit d’un enregistrement célèbre, souvent réédité, y compris chez nombre de « pirates ». Même s’il ne peut être aujourd’hui considéré comme une référence, il marque une date : pour la première fois, on tentait de graver intégralement et sans transposition un opéra de Haendel. Nuançons aussitôt, car la partition a subi diverses coupes : trois arie et la moitié des da capo. Ainsi, son air d’entrée étant omis, le rôle-titre se trouve presque absent du premier CD ! Il faut dire que Sosarme (pourtant dévolu à Senesino) ne tient qu’un rôle secondaire dans l’intrigue conçue par Antonio Salvi : héros falot, il se contente de temporiser entre l’autoritaire roi Haliate et son fils Argone, brouillés par le cruel Altomaro (qui veut faire monter sur le trône son petit-fils, Melo, demi-frère d’Argone… oui, c’est compliqué…). Du moins Sosarme conserve-t-il sa tessiture d’alto, donnant l’occasion à un Alfred Deller quadragénaire d’enregistrer l’un de ses tout premiers (et rares) rôles d’opéra. Demi-teintes, pâmoisons, sons filés, rien qui puisse ressembler au rogue Senesino, mais il faut l’avoir entendu dans « Per le porte del tormento », l’un des duos les plus planants du Saxon, ainsi que dans « In mille dolci modi », dont il fait presque un nocturne de Bellini...

Le reste de la distribution tient son rang, en dépit d’un chant daté, un peu pincé et aux diphtongues étranges. En amoureuse de Sosarme, l’émission serrée de Margaret Ritchie (créatrice du rôle-titre du Viol de Lucrèce de Britten) n’est pas des plus agréables, mais son style ciselé ne manque pas de chic, tandis que ses « parents », Nancy Evans (alto) et William Herbert (ténor), aux timbres très anglais et à la technique fluctuante, affichent de vraies personnalités. On en dira autant du baryton Ian Wallace, convaincant en affreux méchant, mais c’est surtout la très classieuse contralto Helen Watts qui retiendra l’attention dans les deux airs (enfin, l’air et demi) de Melo ayant échappé aux ciseaux. Certes, ceux-ci sont dirigés avec une lenteur suspecte, et, de façon générale, on pourra trouver la battue de Lewis excessivement sérieuse, voire empesée – mais non pas pompeuse : rappelons qu’on doit à cet excellent chef et musicologue, amoureux du répertoire baroque, des éditions soignées de Purcell et de Monteverdi, ainsi qu’un enregistrement toujours recommandable d’Hippolyte et Aricie de Rameau (Decca, 1966). Côté technique, on regrettera un report cotonneux – les bandes d’origine, elles, pêchaient par leur son métallique. En définitive, Sosarme (1732), ouvrage noir et romanesque, attend toujours, au disque, la consécration qu’il mérite - la version sur instruments anciens d’Alan Curtis (reprenant la mouture originale, intitulée Fernando, chez Virgin, en 2006) s’étant avérée plutôt ennuyeuse…

Olivier Rouvière