Samuel Youn (le Hollandais), Ingela Brimberg (Senta), Bernard Richter (Georg), Lars Woldt (Donald), Ann-Beth Solvang (Mary), Manuel Günther (le Pilote), Pavel Strasil (Satan), Arnold Schoenberg Chor, Les Musiciens du Louvre, dir. Marc Minkowski, mise en scène : Olivier Py (Vienne, Theater an der Wien, 22 et 24 novembre 2015).
Naxos 2110637 (1 DVD). Notice en ang. et fr. Distr. Outhere

Le romantisme noir est à la source du théâtre d’Olivier Py, c’est dans le Freischütz, dans la Damnation qu’il aura forgé la syntaxe de son art, formé sa direction d’acteurs fiévreuse et inventé ces images de scène si puissantes. Il était entendu que l’ouvrage le plus fantasque qui aura jamais coulé de la plume d’un jeune Wagner pas encore trentenaire serait comme écrit pour lui. Cette fois Pierre-André Weitz lui offre une grande boîte en bardeaux qui encadre la ligne de fuite anxiogène d’un immense plan incliné, escalier quasi mystique pour la rédemption, paré des éclairs et des abîmes de lumière réglés par Bertrand Killy. Qu’il ajoute sa classique tête de mort, de petits accidents comme ce ballet des marins juste sinistre, importe peu, c’est fait pour le coup d’œil général de la salle, mais cette même salle aura-t-elle perçu la direction d’acteurs si fine, si pénétrante que la caméra de François Roussillon a su retranscrire avec tant d’intensité ?  Pour commenter ce drame de l’absolu des âmes, Satan lui-même, le sculptural  Pavel Strasil, danseur-montreur des destins, révélateur de l’égarement des passions, sera la vraie créature du démiurge Py, et même son double en scène. La puissance du spectacle reconduit à la densité de l’impact éprouvé par ceux qui auront découvert le théâtre lyrique de Py en voyant sa Damnation de Faust.

Mais comment ne pas s’apercevoir que cette interprétation radicale par sa violence poétique trouve son parfait équivalent dans la fosse, où Marc Minkowski exalte les tempêtes et rappelle la poésie lyrique qui émerveille encore l’orchestre de la version originale tirée des limbes par lui, qui en aura gravé chez Naïve le premier enregistrement mondial en 2013 ? Il avait déjà la Senta idéale d’Ingela Brimberg, grand soprano wagnérien mais clair comme celui d’une Agathe, torche vive de sons, la voix même de l’absolu que Marc Minkowski conduit au sacrifice avec une ardeur inédite. Son Georg (Erik) solaire, avec quelque chose de l’ancien monde de Weber dans la nature même de sa voix, est cette beauté blonde de Bernard Richter, paradis à jamais perdu. Mais non, à mesure que le drame se dénoue, Brimberg donne à sa voix une profondeur dramatique, comme si son timbre cherchait à rejoindre l’étoffe sombre du Hollandais si bien chantant, si stylé et si terrifiant pourtant de Samuel Youn, dévoré par sa conscience. Ce trio est un crève-cœur, autour de leurs sombres dilemmes gravitent des personnages comme venus d’autres mondes, d’un singspiel pour le Donald (Daland) leste et savoureux de Lars Voldt, timbre ample et plein avec quelque chose de Talvela, ou des plus pures élégies de Weber avec le chant plein d’embruns du Pilote de Manuel Günther. Cette soirée a des allures de perfection.

Jean-Charles Hoffelé