John Daszak (Hérode), Anna Maria Chiuri (Hérodias), Asmik Grigorian (Salomé), Gábor Bretz (Jochanaan), Julian Prégardien (Narraboth), Avery Amereau (un Page d’Hérodias/un Esclave), Matthäus Schmidlechner (Premier Juif), Mathias Frey (Deuxième Juif), Patrick Vogel (Troisième Juif), Jörg Schneider (Quatrième Juif), David Steffens (Cinquième Juif), Tilmann Rönnebeck (Premier Nazaréen), Paweł Trojak (Second Nazaréen), Neven Crnić (un Cappadocien), Henning von Schulman (Premier Soldat), Dashon Burton (Second Soldat). Orchestre philharmonique de Vienne, dir. Franz Welser-Möst. Mise en scène : Romeo Castellucci (Salzbourg, 24/26/28 août 2018).
Unitel / Cmajor CM801608. Présentation et synopsis trilingues (angl., all., franç.). Distr. DistrArt Musique.


La production choc de l’année 2018. Nous l’avons vue en 2019, à la fois réticent et fasciné, attendant la captation pour en juger à nouveau. Celle-ci permet d’apprécier tout le travail de direction d’acteurs de Romeo Castellucci, notamment sur Salomé, encore plus impressionnante à l’écran. Avantage donc, ici, au DVD. Sinon, la première impression se confirme.

L’Italien joue sur les images et les symboles. Le décor immense du Manège des rochers, oppressant par ses arcades murées, est d’une beauté glacée. Le Prophète devient un inquiétant oiseau noir au milieu d’une lune ténébreuse ou se trouve assimilé à un cheval dont on apporte la tête à la fin – la citerne devient étable, ramenant le personnage à une animalité fangeuse. Salomé porte une robe blanche de princesse ou de madone, avec des gestes délicats à la Bob Wilson, comme si Castellucci projetait sur l’histoire de la petite princesse le conte de la Belle et la Bête. Une robe maculée du sang des premières menstrues, moment de l’éveil du désir – pas de danse des sept voiles, mais une scène très stylisée de plaisir solitaire quand Jochanaan redescend au fond de la citerne étable. Sang d’un côté, eau de l’autre pendant les dernières mesures, pour une sorte de lustration – on a aussi lavé le Prophète au jet. Partout des symboles, souvent en écho : au disque de la lune répond le couvercle de la citerne… Le spectacle associe subtilement le mouvement et l’immobilité – on pense encore à Bob Wilson -, pas toujours à l’unisson de la tension constante entretenue par la musique, relevant parfois du tableau vivant, où le moindre détail est pensé. D’où vient la réticence ? De la profusion même des symboles, de ce décalage entre musique et plateau, de l’inutilité de certains éléments aussi – les boxeurs, par exemple… Et de ce que, sans doute, nous ne sommes pas assez abandonné à la magie d’un spectacle ensorcelant.

Franz Welser-Möst dirige un Philharmonique de Vienne en état de grâce, aux couleurs plus capiteuses que jamais, pour une interprétation privilégiant la clarté des textures, jusque dans les passages les plus violents. On perd du coup le souffle méphitique, la moiteur trouble, la sensualité vénéneuse. Le DVD flatte Asmik Grigorian, dont on ressent moins ici les limites, voix ductile aux souplesses de liane, princesse adolescente, être de désir lumineux et innocent, bien accordée finalement à l’orchestre de Welser-Möst – bref, elle est Salomé. L’Hérode de John Daszak est beaucoup moins maladivement pervers que d’autres, presque distancié, chantant là où beaucoup parlent le rôle. Mais le plus impressionnant reste sans doute le Jochanaan de Gábor Bretz, voix cuirassée de bronze comme lui, l’exacte tessiture du prophète irrité, qu’on dirait sorti tout droit de la Bible. Sinon, distribution sans faute, avec en tête l’Hérodias aigrie d’Anna Maria Chiuri, habillée très haute couture, et, surtout, le Narraboth extasié de Julian Prégardien.

Didier van Moere