Ermonela Jaho (Anna), Arsen Soghomonyan (Roberto), Brian Mulligan (Guglielmo), Opera Rara Chorus, London Philharmonic Orchestra, dir. Sir Mark Elder (2019).
Opera Rara ORC59. Notice en angl., synopsis quadrilingue dont franç., livret bilingue (ital., angl.). Distr. Macbeth Media Relations.


Fidèle à sa mission, le label Opera Rara nous offre la version originale des Villi, premier opéra de Puccini composé en 1883 pour candidater au concours Sonzogno alors inauguré – en vain : Puccini en repartit bredouille. La discographie et les (rares) concerts au service de l’œuvre s’intéressent d’habitude à sa seconde version, augmentée en deux actes dès 1884 sur le conseil de Ricordi, éditeur rival de Sonzogno et dont le flair plongea sur les droits de la partition et sur ce jeune compositeur inconnu… Les ajouts de la seconde version, créée en janvier suivant à la Scala (la romance d’Anna « Se come voi piccina », la grande scène et romance de Roberto), figurent ici en appendices, et une riche notice musicologique de Martin Deasy réjouira les anglophones, haussant comme toujours le travail d’Opera Rara à un niveau référentiel. Choisissant l’orthographe « Willis » plutôt que sa transcription italienne « Villi », le label met décidément en avant les sources – ici, la légende des jeunes filles mortes dont l’âme hante les survivants, partagée par toute l’Europe centrale –, manière de mettre en évidence ce fantastique germanique qui hantait la Scapigliatura.

Reste que même Le Villi en deux actes pâtissent de défauts dramaturgiques flagrants (notamment plusieurs moments clés de l’action relégués en ellipses narratives), que leur « premier jet » met plus cruellement encore en valeur : ici, même pas d’air pour le couple de protagonistes ténor et soprano ! On s’étonne surtout qu’Opera Rara ait renoncé au mélodrame parlé qui accompagne l’intermezzo symphonique séparant les deux parties de l’acte unique (et, dans la version II, les deux actes), dont les quelques vers déclamés sont seuls à même d’expliquer à l’auditeur le déroulement de l’action.

Pour le reste, la réalisation musicale est de grande qualité : Mark Elder mène le London Philharmonic Orchestra à une verve frôlant le diabolique quand il le faut, verve que l’Opera Rara Chorus approche avec un vrai sens du raffinement mais toutefois sans vraie extraversion. Éminente puccinienne, Ermonela Jaho est parfaitement à son aise et très attachante en Anna, délicate et lyrique, morte avant de mourir. Le ténor d’Arsen Soghomonyan est central de timbre, presque noir, parfois engorgé et aux limites de l’aisance dans les éclats aigus mais sachant diluer cela dans un magnétisme réel et une vérité d’accents certaine dans le drame. Impeccable baryton de Brian Mulligan pour le rôle du père, associant ligne élégante, densité du timbre, ampleur des phrasés aigus (où l’on sent directement l’héritage verdien qui pèse encore sur Puccini) – seulement en difficulté à leur sommet – et ferveur des intentions. Une belle réalisation.

Chantal Cazaux