Katherine Watson (Hypermnestre), Mathias Vidal (Lyncée), Thomas Dolié (Danaüs), Chantal Santon-Jeffery (une Égyptienne), Manuel Nuñez Camelino (un Égyptien), Juliette Mars (Isis), Philippe-Nicolas Martin (le Nil, l’Ombre de Gélanor), Purcell Choir, Orfeo Orchestra, dir. György Vashegyi (2018).
Glossa 924007 (2 CD). 2h26. Notice en français. Distr. Harmonia Mundi.

 
Entre Lully et Rameau – le désert ? Que nenni ! On avait déjà (un peu) redécouvert Marais, Campra, Destouches… Il faudra désormais compter avec Charles-Hubert Gervais (1671-1744), ami du régent Philippe d’Orléans, qui, à partir de 1723, se hissa au poste de sous-maître de la chapelle de Louis XV. Hypermnestre (1716), le troisième de ses quatre opéras, fut le plus fameux, puisqu’on le reprit régulièrement jusqu’en 1766 - après la mort de Rameau ! Il nous est ici proposé dans sa mouture de 1717 mais Vashegyi a eu la bonne idée de proposer en bonus la version originelle de son dernier acte, entièrement différente de la version révisée : si la seconde, qui se souvient du Tancrède de Campra, apparaît plus frappante, dans sa noire concision, la première offre à l’héroïne un air supplémentaire et à Isis une descente ex machina. Globalement, l’œuvre est enthousiasmante – de densité, de couleurs. Contrairement à Benoît Dratwicki (qui signe encore une fois une passionnante notice), nous avons tendance à penser que le mythe d’Hypermnestre, resserré sur trois personnages, convient mal à l’opéra : Cavalli, Métastase, Salieri, tous achoppèrent sur la simplicité d’une action qui voit la protagoniste déchirée entre son amant Lyncée et son père Danaüs, tandis que ses quarante-neuf sœurs massacrent leurs conjoints respectifs… Le librettiste Joseph de La Font a nourri la trame en introduisant le fantôme de l’ancien roi d’Argos, détrôné par Danaüs (ce qui nous vaut une impressionnante scène d’apparition, à l’acte I) et en différant l’arrivée de Lyncée (prétexte à un divertissement marin, au II). Si Gervais s’inscrit dans la tradition lullyste lors des récits (magnifique aveu d’Hypermnestre à Lyncée à l’acte IV) et des danses (dont l’une serait due au Régent lui-même), il lorgne du côté de l’Italie dès que le drame s’apaise : le Prologue, gorgé d’ariettes étincelantes, à l’instrumentation raffinée, et de mélodies lyriques (« Air pour les peuples ») sonne déjà ramiste.

La familiarité du Hongrois Vashegyi avec ce répertoire n’est plus à démontrer, depuis ses motets de Mondonville, ses Naïs et Indes galantes de Rameau : il se surpasse ici, avec une direction affirmée, puissante, parfois un rien rapide, qu’épouse un orchestre parfaitement équilibré, aux phrasés libres et expressifs (superbes tenues des violons, dans l’ouverture ; fin piano de la passacaille de l’acte IV). Côté chœur, cela s’améliore aussi (beau pupitre de hautes-contre), même si l’élocution des dames reste floue et si la prise de son le relègue en fond de « scène ». Côté solistes, Vidal n’a jamais semblé si convaincant qu’en Lyncée, dont il accuse l’héroïsme. Katherine Watson est une Hypermnestre au grave, à la ligne et à la diction splendides, mais qui manque de charisme. Thomas Dolié ne possède pas toute la noblesse de Danaüs mais en fait un personnage fort émouvant. Dans les « petits rôles » qui ne le sont guère, Camelino redouble de charme (quitte à s’étrangler un peu dans la tessiture impossible du Grand Prêtre), Santon-Jeffery scintille, malgré un chant toujours brouillon, Mars et Martin imposent leurs nobles timbres. Une découverte majeure, faite dans d’excellentes conditions.

Olivier Rouvière