Leonor Bonilla (Giulietta), Raffaella Lupinacci (Romeo), Leonardo Cortellazzi (Capellio), Paoletta Marrocu (Adelia), Vasa Stajkic (Tebaldo), Christian Senn (Lorenzo), Orchestra Accademia Teatro alla Scala, dir. Sesto Quatrini. Mise en scène : Cecilia Ligorio (Martina Franca, juillet 2018).
Dynamic 37832 (2 DVD). 161 mn. Distr. Outhere.

De la trentaine d'opéras inspirés du drame shakespearien, celui de Vaccai créé en 1825 est l'un des mieux construits. Il le doit au livret de Romani, que reprendra pour partie Bellini dans ses Capuleti e Montecchi, mais aussi et surtout à une parfaite connaissance de l'écriture belcantiste dont ce contemporain de Rossini maîtrisait toutes les figures. Les élèves de nos conservatoires connaissent et pratiquent d'ailleurs la méthode de chant de ce professeur émérite publiée en 1834, presque une décennie après la création de ce Giulietta e Romeo dont la première reprise moderne remonte à un concert de 1996. Un enregistrement distribué par Bongiovanni témoignait naguère de cet événement musical programmé par le Teatro Pergolesi de Jesi. Jusqu'alors il fallait se contenter de la magistrale scène finale de l'ouvrage que la Malibran, Roméo de légende, imposait hier en lieu et place de celle conçue pour l'opéra bellinien et que le Festival de Martina Franca proposait justement cette même année 96. Comme si souvent depuis sa fondation par le cher Rodolfo Celletti, ce festival redonne présentement vie à un jalon essentiel du répertoire, qui plus est dans une présentation scénique de premier ordre, très habilement filmée.

La régie de la jeune Cecilia Ligorio met en perspective de manière éloquente les interactions des protagonistes, singuliers ou pluriels. Le contraste est ainsi plastiquement beau et signifiant qui oppose le nocturne de l'étreinte initiale des deux amants à celui noyant l'immobilité des figurants statufiés autour du tombeau, à la fin du drame. Noir des Capulet, blanc relevé de rouge pour Roméo : costumes et lumières soulignent à l'envi la sensualité des rapports amoureux comme la farouche hostilité des clans en présence. Le discours repose quant à lui sur le continuum du recitativo, secco à l'origine, ici accompagné, sans que la virtuosité ne prime sur l'expression du sentiment. Une certaine frustration guette cependant les mélomanes que nous sommes, nourris de mélodisme bellinien ou de raptus donizettiens, devant une relative placidité musicale. En somme il y a là trop peu de maestria post-rossinienne pour pimenter les discrets effluves préromantiques du chant. D'autant que les interprètes, désavantagés par les conditions acoustiques du plein air, peinent à subjuguer ! Avouons notre peu d'appétence pour le timbre ingrat de Capellio, ténor ardent au demeurant, quand celui des deux basses tend à flotter. Le Roméo en travesti de Raffaella Lupinacci, trop incorporel et à court de bas médium pâlit devant la longueur de souffle, la dynamique et la plasticité de Leonor Bonilla en Giulietta. Les jeunes musiciens scaligères, comme le Chœur de Piacenza, obéissent au mieux à la battue pertinente de Sesto Quatrini. Une reviviscence à saluer en tout état de cause.

Jean Cabourg