Walter Berry (Falstaff), Giorgio Zancanaro (Ford), Francisco Araiza (Fenton), Heinz Zednik (Dr Cajus), Wilfried Gahmlich (Bardolfo), Rudolf Mazzola (Pistola), Pilar Lorengar (Alice), Patricia Wise (Nannetta), Christa Ludwig (Mrs Quickly), Alexandrina Miltcheva (Meg). Chœur et Orchestre de l'Opéra de Vienne, dir. Lorin Maazel (live, Vienne, 1983).
Orfeo d'Or C 783 0921 (2 CD). Distr. DistrArt Musique.

 
Falstaff et l'Opéra de Vienne : une histoire d'amour émaillée des gravures de Toscanini I, Clemens Krauss, Karajan et Bernstein. On se réjouit de retrouver aujourd'hui cette retransmission radio du 2 février 1983 d'une soirée confiée aux bons soins de Lorin Maazel.

L'incomparable Wiener Philharmoniker étincelle sous la baguette de ce dernier, cordes de soie et bois mutins y provoquant des cuivres ironiques, au gré d'une narration orchestrale plus équilibrée et jubilatoire que celle obtenue par le même chef à la Scala et filmée deux ans plus tôt. Les curieux noteront que la durée du présent enregistrement est exactement celle de la version Toscanini II de 1950, ce qui témoigne, a minima, d'une égale vivacité de trait. La nécessaire fusion des voix et du contre-chant instrumental, essence même de l'ouvrage, est en revanche ici embuée par une prise de son tendant à cantonner les protagonistes au second plan. Les victimes en sont tout particulièrement nos joyeuses commères dont les timbres respectifs pâtissent de cette mise à distance. L'Alice de la mozartienne Pilar Lorengar en est comme bridée dans l'expansion de son lyrisme à fleur de peau, alors que le registre central d'Alexandra Miltcheva, celui d'une Carmen, d'une Amneris, passe mieux la rampe. Christa Ludwig, hier encore souveraine en Mrs Quickly, peine désormais à colorer ses graves et se réfugie dans les finesses de sa voix de soprano, mise au service d'une expression néanmoins génialement affûtée. Bonheur alors d'entendre l'Américaine Patricia Wise conférer à sa pulpeuse Nannetta une lumière boréale dont rayonnera au plus profond de la forêt de Windsor le divin « Sul fil d'un soffio etesio ». Son amoureux, un Araiza parfois inégal, se montre à la hauteur de cette conquête. Pour sa prise de rôle, Walter Berry faillit renoncer ce soir-là à monter en scène. Appréhension de jouer les séducteurs bedonnants avec la complicité de la grande Christa, hier son épouse ? Indisposition passagère ? Sa prudence initiale à l'acte I laissera en fait rapidement place à une jovialité gourmande, déclinée en inflexions à peine émoussées dans l'aigu et mâtinée d'une savoureuse rouerie. La voix mixte de Sir John, son falsetto comique comme la syllabisation de son « Quand'ero paggio » le classent parmi les panciones les plus fréquentables. Admirable enfin Zancanaro, tout premier baryton Verdi de ces années, et dont la présence vocale en Ford élève ce dernier au rang de héros emblématique des opéras majeurs du compositeur. Pour les forces de Vienne et les bonheurs dispensés sur le plateau comme dans la fosse, on poussera la porte de l'Auberge dite, opportunément, « de la Jarretière ».

Jean Cabourg