Victoria Simmonds (Pinocchio), Jonathan Summers (Geppetto), Mary Plazas (La Fée bleue), Rebecca Bottone (Le Criquet, Le Perroquet), Chœurs et Orchestre de l’Opera North, dir. David Parry, mise en scène : Martin Duncan (2008).
Opus Arte OA 1005 (2 DVD). 2h33’. Distr. DistrArt Musique.


C’est le triomphe de son opéra Flight à Glyndebourne en 1998, sous la direction de David Parry, qui a établi durablement la réputation de Jonathan Dove en Grande-Bretagne et en Europe. C’est que sa musique, loin des modes lourdes à digérer installées en Europe depuis des décennies, s’oriente plutôt vers le divertissement, sans perdre pour autant de la profondeur qu’imposent ses livrets. Mais sa facture privilégie l’enjoué, le séduisant, pour jouer avant tout d’une efficacité dramatique lisible tout en offrant à l’auditeur cultivé un panorama volontairement avoué de sa mémoire musicale où figurent, loin du sérialisme plus ou moins digéré d’aujourd’hui, les souvenirs des couleurs et des rythmes de Stravinsky et Prokofiev côté international, ou de Bernstein côté américain, mâtinés d’une écriture orchestrale qui doit ici un peu à Debussy, là plus évidemment à Britten. Ajoutez une couche de minimalisme invoquant les américains en vogue, de Glass à Adams, pour définir le style plutôt éclectique, hors mode du temps, plaisant, enlevé, et surtout efficace d’un créateur prolixe et vivifiant, qui défie les enjeux et prises de tête des compositeurs contemporains « sérieux », et rencontre infiniment plus de succès que la plupart d’entre eux.

The Adventures of Pinocchio est son 21e opus lyrique. Il a été créé par l’Opera North pour la Noël 2007, et a été repris depuis en Grande-Bretagne, aux USA et en Allemagne avec le même succès public que Flight. C’est un opéra pour adultes ayant gardé leur âme d’enfant, ou comme se plaît à dire le compositeur, pour toute la famille. Le sujet s’y prête : qui ne connaît l’œuvre de Carlo Collodi ? Et une certaine façon de rendre ici l’opéra cousin de la comédie musicale, sans en imposer le côté punchy cependant, n’est pas pour rien dans son immédiateté d’accès. Pas question pour autant d’une version expurgée des côtés noirs du conte original. Comme le fit Philippe Boesmans dix ans plus tard avec son propre Pinocchio, le grinçant est là qui dit sa critique sociale et sociétale, qui n’est pas seulement celle du XIXe siècle s’industrialisant au détriment des populations : les enfants n’ont plus peur aujourd’hui de contempler - et ressentir - les réalités du monde, et tout est alors affaire de demi-teintes, ce qui n’exclut pas le sourire ni même le rire franc : la scène 9, sur la Justice, avec son juge-singe hilarant est typique de cet humour qui sait être ravageur, sans que la poésie et l’émotion se retrouvent exclues du propos.

C’est la production originale de la création à l’Opera North, signée Martin Duncan qui est captée ici. C’est une fête pour l’œil et l’oreille tant elle s’y entend pour faire vivre cette fresque qui fonctionne parfaitement, malgré quelques longueurs ici et là. Victoria Simmonds est un pantin exceptionnel de vie et de séduction, et autour d’elle, les quelques 28 autres personnages sont excellemment partagés par une équipe comme seule la Grande-Bretagne sait en offrir, à commencer par Jonathan Summers et Mary Plazas. David Parry apporte toute la vivacité qui convient à un orchestre brillant de mille feux sous sa baguette alerte. Si Pinocchio passe par chez vous, ne le manquez pas, c’est la garantie d’une bonne soirée. En attendant, la vidéo en est un excellent accès.

Pierre Flinois