Nancy Fabiola Herrera (Rosario), Gustavo Peña (Fernando), Lidia Vinyes Curtis (Pepa), José Antonio López (Paquiro), BBC Singers, BBC Symphony Orchestra, dir. Josep Pons (en concert, janvier 2018).
Harmonia Mundi HMM902609. Notice, synopsis et livret en français, espagnol et anglais. Distr. Harmonia Mundi.

Qu’est donc Goyescas ? Pour Granados, soucieux d’opéra comme Albéniz qui espéra un temps une carrière sur la scène lyrique, une occasion, celle d’enfin trouver sa voix au théâtre quasi hors du monde de la zarzuela abordé avec Maria del Carmen (1898). Depuis, d’échecs en tentatives avortées, il avait fini par renoncer, vouant son art tout entier au piano, et c’est du piano que le chant lui revint. 

Dès le spectaculaire chœur qui ouvre Goyescas, brodant sur le thème d’El Pelele (que les pianistes d’aujourd’hui rechignent à jouer avec le cycle dont il est pourtant l’appendice), on sait qu’Ernest Schelling eut raison de souffler à Granados la métamorphose de ses portraits de clavier en personnages d’opéra. Il esquissa une intrigue où jalousie et mort (par duel) virevoltent dans un monde de bals et de fêtes que Goya eût pu croquer. Fernando Periquet y mit des mots très justes, se souvenant dans sa prosodie comment Granados avait magnifié la poésie dans ses Tonadillas et ses Canciones amatorias. Les trois tableaux, qui vont du brillant au tragique, s’ombrent tous d’une poésie sensuelle et d’italianismes vocaux qui disent assez à quel point Granados connaissait son Puccini. 

L’œuvre eut de la chance au disque, depuis la gravure princeps d’Ataulfo Argenta pour le label madrilène Alhambra (diffusée par Decca et enregistrée par ses ingénieurs) où les deux belles rayonnaient de jalousie autant que leurs « majos » : Consuelo Rubio et Ana Maria Iriarte demeurent impérissables, stylées au possible sous cette baguette sèche qui annonçait  dès le chœur d’entrée l’issue fatale. Pour Auvidis, Ros-Marbà soignait un peu trop l’hédonisme, mais comment résister à la Rosario de Maria Bayo ? Depuis seul un live dirigé par Gianandrea Noseda aura paru, qui gagne à être oublié. 

Finalement, Josep Pons ajoute une autre voie avec son orchestre poétique et léger, qui ose toutes les perditions d’une harmonie pimentée. Cela suffit à tendre jusque dans les moments lyriques ce drame qui se joue derrière tant de brio, et comme les chanteurs sont portés par cette direction savante, qui savoure le lyrisme tout italien d’une écriture vocale élégante et volubile. Le fandango qui ouvre le deuxième tableau est d’une ombrageuse noblesse, pris large, envoûtant tout comme le duo final entre Rosario et Fernando après que le rossignol a averti de la mort. Dommage, Nancy Fabiola Herrera ne retrouve pas l’élan de Consuelo Rubio, affaire de timbre mais aussi de technique et dans une équipe de chant modeste seul le Fernando de Gustavo Peña semble promettre des lendemains qui chantent - mais il suffit de retrouver le jeune Ramón Vargas chez Ros-Marbà pour l’oublier aussitôt. Alors pourquoi ces Goyescas charment tant ? Pour le ton si poétique, le vrai théâtre des sentiments qu’y infuse Josep Pons. Ce n’est pas rien.

Jean-Charles Hoffelé