Jevgenij Taruntsov (comte Stefan Bárdossy), Regina Riel (Janka), Thomas Zisterer (Árpád Erdödy), Anna-Sophie Kostal (Etelka), Tomas Kovacic (Josef von Kismárty), Rita Peterl (Frusina), Gerhard Balluch (Desider), Dolores Schmidinger (l’impératrice Marie-Thérèse), Matthias Schuppli (le Courrier de l'impératrice), Wolfgang Gerold (Anton von Halmay), Chœur du Festival Lehár de Bad Ischl, Orchestre Franz Lehár, dir. Marius Burkert (2015).
CPO 777 974-2 (2 CD). Notices et synopsis en allemand et en anglais. Distr. DistrArt.

Musicien autrichien établi à Berlin en 1924, Nico Dostal (1895-1981) est l'un des tout derniers représentants de ce que l'on appelle « l'âge d'argent » de l'opérette. L'essor de sa carrière coïncide avec l'instauration du régime nazi, puisque c'est en 1933 qu'il atteint à la célébrité avec la création de son opérette Clivia. En février 1939, l'Opéra de Stuttgart voit la première de son autre très grand succès, Die ungarische Hochzeit, c'est-à-dire Le Mariage hongrois, parfois traduit par Noces tziganes. Marchant sur les brisées de Johann Strauss (Le Baron tzigane, 1885) et de Emmerich Kálmán (Comtesse Maritza, 1924), Dostal a choisi un décor intimement associé au monde de l'opérette et truffé sa partition de rythmes qui exhalent les effluves magyars. Les deux morceaux les plus fameux – et de loin les plus envoûtants – sont destinés à l'interprète de Janka, rôle créé par la future Mme Dostal, la soprano Lillie Claus (1905-2000). Inspirée d'une nouvelle de Kálmán Mikszáth, l'intrigue se déroule vers 1750 et gravite autour des amours de Janka, fille de l'important magistrat Kismárty, avec le jeune comte Stefan Bárdossy. Après de multiples déguisements et rebondissements, c'est finalement l'impératrice Marie-Thérèse elle-même qui vient mettre bon ordre dans une situation passablement inextricable.

Écho d'une production donnée au Festival Lehár de Bad Ischl en 2015, cette parution possède le mérite de faire entendre l'ouvrage dans le confort d'une prise de son moderne, contrairement à l'autre intégrale disponible, enregistrée à Cologne en 1955 par Franz Marszalek (Line Music). Si Marius Burkert parvient à insuffler une belle énergie – notamment dans la Marche hongroise du troisième acte – et la sensualité désirée à un orchestre assez moyen, il ne saurait toutefois rendre transcendants un chœur et une distribution de second ordre. En fait, le principal problème réside dans le déséquilibre particulièrement gênant entre les deux personnages principaux. Avec sa voix mate, son timbre gris et ses nombreux problèmes techniques, le ténor Jevgenij Taruntsov est un Bárdossy complètement éclipsé par la Janka infiniment plus crédible de Regina Riel qui, en dépit d'importantes difficultés dans l'aigu, réussit à donner vie à son personnage. Il n'empêche que ses deux grands moments (les merveilleux « Heimat, deine Lieder » et « Spiel mir das Lied von Glück und Treu ») font pâle figure si on les compare avec les versions d'Anneliese Rothenberger, Anny Schlemm, Renate Holm ou Lucia Popp. Jusqu'à présent, ce sont ces grandes artistes qui ont le mieux défendu cette œuvre au charme délicieusement suranné.

Louis Bilodeau