Miroslav Čangalović (Ivan Soussanine), Marija Glavačević (Antonida), Drago Starc (Bogdan Sobinine), Milica Mladinović (Vania), Vladeta Dmitriević (Sigismund III de Pologne), Bogolub Grubač (un Messager polonais), Ivan Murgaški (un Guerrier russe). Chœur de l’Armée Yougoslave, Orchestre du Théâtre National de Belgrade, dir. Oscar Danon (1955).
Decca Eloquence 482 6924 (3 CD). Texte de présentation en anglais. Pas de livret. Distr. Socadisc.

Cette version fut enregistrée la même année que Le Prince Igor, avec le même chef mais avec une distribution différente. Là encore on éprouve un sentiment de reconnaissance mêlé de quelques griefs : reconnaissance de l’hommage rendu au premier grand opéra russe, mais grief de constater qu’il s’agit du livret totalement dénaturé de Gorodetski, écrit en 1939 lors de la première reprise de l’opéra sous le régime soviétique, en remplacement du livret original du baron Rosen et gommant toute allusion à la monarchie ; le texte de présentation fait assez honnêtement le point là-dessus, mentionnant les modifications les plus flagrantes. L’enregistrement comporte quelques coupures, dans le IVe acte et dans l’Épilogue, couramment pratiquées par ailleurs, et en toute honnêteté assez justifiées, compte tenu de certaines maladresses dramaturgiques de Glinka, chez qui l’épanchement musical et le souci de valoriser les solistes priment souvent sur l’efficacité du temps scénique.

Miroslav Čangalović domine de très haut la distribution, campant un Soussanine hiératique, aux résonances graves abyssales et au niveau expressif constant. Osera-t-on dire qu’il s’écoute un peu trop chanter, étirant les belles phrases de sa partie vocale ? Peut-être… mais on y prend tout autant de plaisir ! Le jeune Sobinine de Drago Starc est un guerrier-amoureux tout feu tout flamme, au ténor vaillant, et avec une telle implication qu’on lui pardonne quelques intonations un peu tangentes, dues à sa propension à attaquer les notes par en-dessous. Je serai moins indulgent envers Marija Glavačević - de façon générale il ressort que les grandes voix féminines serbes n’égalent pas tout à fait leurs confrères masculins -, et l’Antonida qu’elle incarne, avec une certaine capacité d’abattage, souffre d’un timbre strident avec un fort vibrato. Dans le rôle toujours un peu risqué du jeune Vania, contralto travesti, Milica Mladinović, aux sonorités poitrinées sensuelles mais stables, transmet une solidité et une véracité humaine qui réussissent à conserver au personnage de l’adolescent toute sa portée émouvante d’orphelin adopté, mais le font aussi imaginer plus âgé et d’un genre moins équivoque. Les chœurs de l’Armée Yougoslave n’ont rien à envier à ceux de l’Opéra de Belgrade et font retentir un coffre impressionnant, surtout dans les épisodes martiaux et rythmés. Oscar Danon se montre ici assez efficace, menant sa troupe avec autorité, mais il est bien pesant dans les tempi lents, comme il l’a été dans Le Prince Igor, et surtout dépourvu de ce « plus » qui n’appartient qu’aux plus grands et qui fait dire de temps en temps que çà et là on aimerait encore plus de vie et de diversité expressive. Un témoignage qui mérite d’être reconnu mais ne doit pas faire oublier que deux ans plus tard La Vie pour le tsar était enregistrée chez EMI sous la direction d’Igor Markevitch, avec certes beaucoup de coupures, mais avec pour la première fois son livret original, et avec Boris Christoff dans le rôle de Soussanine, et ce sont là des choses qui ne s’oublient pas !

André Lischke