Wolfgang Rihm, Das Gehege : Rayanne Dupuis (soprano), Deutsches Symphonie-Orchester Berlin, dir. Kent Nagano (2011).
Jean-Pascal Beintus, Le Petit Prince : Eva-Christina Schönweiss (violon), Kirsten Ecke (harpe).
Capriccio C5337. Notice en allemand et anglais. Texte de l’opéra en allemand seulement. Distr. Outhere.

Avec son Jakob Lenz (voir L’Avant-Scène Opéra n° 310), Wolfgang Rihm manifestait dès la fin des années soixante-dix un intérêt pour les formes opératiques brèves. Bien plus condensé encore, le plus récent Das Gehege (« L’enclos », 2004-2005), « scène nocturne pour soprano et orchestre » d’environ trente-cinq minutes, peut être entendu comme un monodrame, ce à quoi invite d’ailleurs son évidente parenté avec le célèbre Erwartung de Schönberg. Mais moins que d’un mini-psychodrame intérieur, il s’agit ici d’une action à forte charge symbolique. Le compositeur s’est appuyé sur la scène finale de la pièce Schlusschor (1991) de Botho Strauss, qui décrit l’irruption d’une femme dans un zoo et sa tentative, après effraction de la cage d’un aigle royal, d’union à la fois érotique et allégorique avec l’animal. Cette scène, qui prend également une dimension rituelle et peut même apparaître comme un état de transe, est traitée musicalement par la grande mobilité d’une écriture qui ne se fixe jamais et manifeste une forte charge référentielle. La virtuosité de ce discours très fluide et furtif tient pourtant bien davantage d’une sorte de morphing stylistique que d’un effet de collage. Si le climat oscille entre une tension expressionniste et une effusivité postromantique teintée par le style harmonique de Strauss, on capte par moments des allusions assez nettes au Stravinsky de la période russe, quelques résonances varésiennes, des effluves impressionnistes et même le recours plus générique à des éléments de langage classiques.

La forte présence vocale de Rayanne Dupuis, dont l’ampleur du grave relève presque d’une consistance de mezzo-soprano, voire d’alto, constitue un atout dramaturgique évident. Les brefs passages parlés, ainsi que les glissements entre le chant et une raucité vocale se situant à mi-chemin entre transe chamanique et cabaret berlinois sont restitués avec beaucoup d’aplomb par la chanteuse. Cependant, l’épaisseur de son vibrato comme la légère rigidité de sa projection tendent à limiter sa palette de teintes, et par là-même une versatilité expressive qui aurait été fort pertinente pour se couler dans cette écriture transformiste, traduisant comme dans Erwartung la forte agitation du personnage voire, alors qu’elle répète dix fois les mots « sträubte mich », sa propension à l’hystérie.

Comme la grande réactivité de l’orchestre berlinois conduit par Kent Nagano, son admirable nuancier ne pouvait mieux convenir à l’écriture brillante de Rihm et à son amplitude dynamique. Outre les belles interventions instrumentales solistes, on pourra noter la présence soutenue d’un éoliphone (machine à vent), probable clin d’œil aux tempêtes baroques.

En dépit d’un thème et d’un style dramaturgique qui, a fortiori en l’absence de traduction du livret, pourront sembler quelque peu hermétiques aux auditeurs non germanophones, cette œuvre de Rihm peut s’écouter pour sa richesse musicale. On ne s’étendra pas sur son surprenant couplage avec un concerto pour violon et harpe de Jean-Pascal Beintus en forme de poème symphonique, Le Petit Prince, où le compositeur agrège à bon nombre de clichés superficiellement empruntés à l’écriture orchestrale de Debussy et Ravel – surtout au second – des truismes éculés de la musique de film hollywoodienne. Curieux voisinage.

Pierre Rigaudière