Michael Kraus (Ottokar), Frank van Hove (Kuno/la Voix de Samiel), Julia Kleiter (Agathe), Eva Liebau (Ännchen), Günther Groissböck (Kaspar), Michael König (Max), Stephen Milling (un Ermite), Till von Orlowsky (Kilian), Orchestre et chœur de la Scala, dir. Myung-Whun Chung, mise en scène : Matthias Hartmann (Milan, 13 et 17 octobre 2017).
Naxos 2.110597. Distr. Outhere.

 

C'est à une représentation de haute tenue musicale et scénique que la Scala conviait ses spectateurs en octobre 2017 avec cette production du Freischütz, la troisième depuis 1955. Soixante-deux ans après son maître Giulini, Myung-Whun Chung dirige in loco le chef-d'œuvre de Weber en ciselant amoureusement chaque page de la partition. Sous sa direction, l'orchestre rutile de mille feux, suscite l'émerveillement dès l'ouverture et crée d'envoûtantes atmosphères qui culminent dans un tableau de la Gorge aux loups proprement stupéfiant. Le pur hédonisme musical se double ici d'une puissance expressive peu commune, à laquelle le chœur concourt également de façon remarquable.

Sur le plateau, le Kaspar de Günther Groissböck se démarque nettement grâce à ses immenses qualités vocales mises au service d'une incarnation sidérante. Lorsqu'il invoque Samiel et fond l’une après l'autre les sept balles, il semble vraiment en transe et possédé par le démon. Il faut le voir s'agiter devant le cercle de feu, laisser tomber dans son écuelle chacune des balles, bondir quand les éléments se déchaînent, puis finalement s'écrouler inanimé à la fin de l'acte. L'autre élément majeur de la distribution est Julia Kleiter, dont la voix se déploie avec bonheur dans les longues phrases extatiques d'Agathe. La pureté de son timbre et son superbe legato font merveille dans la cavatine du troisième acte (« Und ob die Wolke sie verhülle »), sublime prière où le temps se suspend. Eva Liebau offre un beau contraste en Ännchen primesautière, au chant soigné et aux aigus presque toujours bien négociés. Pas plus que dans les versions dirigées par Daniel Harding (Hunter's Bride, film réalisé par Jens Neubert en 2010) et Christian Thielemann (Dresde, 2015), Michael König ne convainc totalement en Max : acteur un peu gauche, sa voix de Heldentenor à l'émission nasale manque du caractère juvénile et ardent que l'on attend du jeune héros transi d'amour. Si Michael Kraus et Stephen Milling flattent l'oreille en Ottokar autoritaire et en Ermite plein de bonté, on ne peut en dire autant de Frank van Hove et de Till von Orlowsky, Kuno et Kilian qui possèdent peu d'attraits.

Matthias Hartmann situe l'action sur un plateau en grande partie dépouillé où l'on distingue de gigantesques troncs d'arbres et des éléments de maisons formés par des néons qui tranchent sur le fond noir de l'arrière-scène, un peu comme si l'on avait dessiné à la craie sur un tableau. Le procédé est plus ou moins heureux, mais constitue une trouvaille intéressante. Dans ce décor minimaliste, le metteur en scène sait bien animer la foule et évoquer la dimension fantastique de l'œuvre par la présence de nombreux figurants aux allures maléfiques. Ceux-ci sont nombreux et particulièrement terrifiants dans la Gorge aux loups, où le metteur en scène parvient à traduire en images saisissantes ce que la musique véhicule d'effroi et de fantasmagorie. Les flammes affolantes, les créatures étranges qui surgissent de nulle part, l'orage final, conjugués à la direction de Chung et au jeu de Günther Groissböck concourent à faire de cette scène un grand moment de théâtre lyrique qui justifie à lui seul l'achat de ce DVD.

Louis Bilodeau