Francesca Tiburzi (Alaide), Sonia Fortunato (Isoletta), Emanuele D’Aguanno (Arturo), Enrico Marrucci (Valdeburgo), Riccardo Palazzo (Osburgo), Alessandro Vargetto (Signore di Montalino), Maurizio Muscolino (Il Priore). Orchestre et chœur du Teatro Massimo Bellini di Catania, dir. Sebastiano Rolli. Mise en scène : Andrea Cigni (2017).
Bongiovanni AB 20038 (1 DVD). Distr. DOM.

 

Des joyaux du répertoire bellinien, La Straniera n'est pas le plus étincelant et ne capte le plus souvent l'attention que par l'éclat que confère à son rôle-titre une protagoniste de haut vol, une Scotto, une Caballé, hier, pour ne citer que les plus notables. La présente captation, réalisée dans la cité natale du compositeur à la faveur de la reprise in loco de l'ouvrage, se pare d'autres atouts. Celui d'abord d'une mise en scène et en images propre à conférer au livret tortueux de Romani une unité que ni ce dernier, ni le compositeur ne parviennent à atteindre sur la crête du drame romantique où ils cheminent en audacieux éclaireurs. L'élément structurant de cette régie, l'eau, fluidifie si l'on ose dire une action parfois improbable. Du lac dominé par le château de cette nouvelle « donna del lago » jusqu'à la catastrophe finale, en passant par l'atmosphère lacustre du tribunal au deuxième acte, l'élément liquide envahit le prisme visuel de son inexorable puissance destructrice. À l'écran toutefois la métaphore tend à se fondre dans la noirceur des éclairages.

Autre atout de cette production, le fait d'offrir la version critique de l'original entièrement conforme à celle de 1829, sans les modifications ou coupures qu'on lui inflige depuis. Avec pour contrepartie la relative frustration qu'engendre le profil vocal du ténor, privé d'air soliste et de la virtuosité belcantiste dont Bellini aurait pu gratifier le mythique Rubini s'il avait été disponible dès la première de l'opéra. Tel qu'en lui-même l'Arturo de la création se voit cantonné dans une vocalité déclamatoire et passionnelle. Largement expérimentale, la partition laisse ainsi la part belle au baryton Tamburini, premier en son genre dans la typologie de l'époque et qui, dans le rôle du faux rival, éclipse celui de l'amoureux suicidaire. Davantage encore, la première Alaide, Henriette Méric-Lalande, se doit de briller autant que d'émouvoir, le cantabile du sublime « Ciel pietoso » côtoyant ces moments où elle est invitée à charger sa coloratura d'une énergie dramatique encore inouïe en ce premier romantisme post-rossinien. L'ensemble des protagonistes est d'ailleurs porté à un engagement expressif dont la nouveauté est saisissante, en amont de la future Norma. La cabalette jubilatoire déployée par la touchante fiancée Isoletta vers la fin de l’Acte II appelle la même expressivité par-delà la pure ébriété vocalisante. Autant dire que, du plateau convoqué pour servir cette œuvre quasiment unique en son temps par ses innovations, on attend beaucoup.

La présente distribution, différente de celle réunie pour les premières soirées de cette reprise, semble avoir quelque peu souffert de ces substitutions. À commencer par celle de la jeune et sincère Francesca Tiburzi dans le rôle éponyme. De timbre opportunément corsé, son héroïne ne se départit pas d'une relative neutralité nuisible aux efforts louables qu'elle déploie à la mesure d'une technique à parfaire. Sonia Fortunato, une Carmen, partage avec elle mérites et limites. Du ténor D'Aguanno suggérons qu'il tente de muscler son discours afin de pallier la relative pauvreté de sa couleur et de son aura. En Tamburini des temps modernes, Enrico Marrucci tient son rang sans rayonnement particulier quand tout l'invite à crever l'écran. Le chef s'en tire avec honneur, à quelques décalages près avec ses chœurs diligents, ce qui ne va pas de soi au regard des aléas de l'écriture.

Jean Cabourg