Christopher Maltman (Wozzeck), Eva-Maria Westbroek (Marie), Marcel Beekman (le Capitaine), Willard White (le Docteur), Frank van Aken (le Tambour-major). Orchestre Philharmonique des Pays-Bas, dir. Marc Albrecht. Mise en scène : Krzysztof Warlikowski.
Naxos 2.110582 (1 DVD ou BRD). Distr. Outhere.


Regarder le Wozzeck de Warlikowski juste après celui de Kentridge (voir notre compte rendu) est cruel pour l’artiste sud-africain. Car tout ce qui fait défaut au spectacle de Salzbourg, on le trouve dans la production de l’Opéra d’Amsterdam. Quel metteur en scène que le Polonais ! Même quand il rate son coup ou se perd dans les méandres d’une pensée toujours en éveil, il crée comme peu d’autres un univers envoûtant. C’est ce à quoi il parvient ici dès le prologue mimé qui est devenu sa marque de fabrique. Des enfants participent à un concours de danse de salon, habillés en adultes, dans un espace ouvert qui se révèle être un salon de coiffure. L’un d’entre eux est exclu par les autres : c’est le fils du coiffeur, un homme complexé jusqu’à la névrose, cheveux gras plaqués, parcouru de tics nerveux. Il est vrai que le Woyzeck historique était coiffeur, et non soldat comme le Wozzeck de Büchner : comme souvent, là où l’on croit que Warlikowski trahit, il retourne aux sources. On assiste dès lors à une véritable dissection de la folie et de l’aliénation, à laquelle l’enfant finira par se livrer au sens propre en désossant le mannequin anatomique du docteur. C’est glaçant et saisissant tout à la fois.

Les personnages sont fortement caractérisés, du Docteur imposant de Willard White, que l’on prendrait presque pour un savant respectable s’il n’était si pervers, au Capitaine tout en ambiguïté de Marcel Beekman, dont on se souvient qu’il fut un interprète baroque au possible de Platée. Eva-Maria Westbroek est une Marie plus adulte, plus femelle que la formidable Asmik Grigorian, avec une ampleur straussienne qui accentue le lyrisme sensuel du rôle. Quant à Christopher Maltman, il renonce à l’émotion à fleur de peau qui a tenté avant lui nombre de barytons, pour se couler dans l’étude clinique que lui a confiée Warlikowski : il s’y tient avec une froideur de scalpel qui peut frustrer mais est en parfaite cohérence avec la dramaturgie. À la tête du remarquable Orchestre Philharmonique de Pays-Bas, formation en résidence à l’Opéra d’Amsterdam, Marc Albrecht confirme ses affinités avec Berg, lui qui avait porté Lulu au triomphe aussi bien à Genève (Olivier Py) qu’à Salzbourg (Vera Nemirova), avec Patricia Petibon les deux fois : moins radical que Jurowski, il cherche le juste équilibre entre romantisme et modernité qui fait de cette partition l’une des plus fascinantes du XXe siècle.

Christian Merlin