Denise Scharley (Carmen), Libero de Luca (Don José), Martha Angelici (Micaëla), Michel Roux (Escamillo). Chœurs Yvonne Gouverné, dir. Jules Gressier (1954).
Malibran MR 821 (2 CD). Distr. Malibran.


Si le charme discret du rétro ne vous rebute pas, vous serez sensible à cette Carmen résolument vintage. On pourrait au premier abord mettre en doute l’opportunité d’éditer ce document d’archive, qui vient s’ajouter à une discographie saturée. Nous avions déjà le Don José de Libero de Luca dans la version Albert Wolff avec Suzanne Juyol. Mais le ténor suisse, germanophone – cela s’entend dans les dialogues, mais nullement dans la parfaite diction chantée –, est un Don José stylé sans être chichiteux, dépourvu d’afféterie, et sa voix claire et délicate renvoie à une époque où les forts ténors ne s’étaient pas encore accaparé le rôle. On connaissait l’Escamillo de Michel Roux dans un live de Karajan à Vienne : lui aussi appartient résolument à la catégorie des barytons aigus et légers, un plus en termes d’élégance, mais un sérieux handicap pour la vaillance malgré tout réclamée par Escamillo. On connaissait la Micaëla de Martha Angelici dans la version Cluytens : on retrouve avec plaisir sa pureté virginale et sa musicalité sensible, plus dans son air que dans un duo un peu pointu.

Ce que l’on n’avait pas encore, c’est une intégrale avec la Carmen de Denise Scharley, jusqu’ici seulement connue par une sélection avec les médiocres Gustave Botiaux et Renée Doria. On comprend qu’elle ait été une titulaire recherchée du rôle, à Paris et ailleurs. Sa voix, qui fut aussi à l’aise dans Wagner, est pleine, riche et homogène, le français impeccable, la caractérisation ne manque pas de noblesse : une Carmen plus parisienne que gitane, jusque dans des dialogues que l’on croirait tirés d’un film de Julien Duvivier. Un véritable apport à l’histoire de l’interprétation autant qu’à celle de la troupe de la Réunion des théâtres lyriques nationaux.

Les seconds rôles tiennent leur rang avec un métier à toute épreuve (rien moins que Robert Massard, un futur Escamillo, en Moralès), le vibrato des chœurs a un peu vieilli mais la direction de Jules Gressier, sans chercher le grand geste inspiré, est typique d’une certaine tradition d’opéra-comique dominée par la sobriété et un tempo d’ensemble fort mesuré : on considérait encore Carmen comme une œuvre intimiste. L’orchestre (probablement la Radio Lyrique de la RTF lors d’un concert radiophonique, même si ce n’est pas précisé sur la pochette) joue dans cet esprit typique de l’époque, franc et direct.

Christian Merlin