Ivan Kusnjer (Martin Avdeitch), Petr Svoboda (Un vieux paysan), Jan Martiník (Stepanitch), Lucie Silkenová (Une femme avec un enfant), Ester Pavlù (Une vieille femme), Jaroslav Březina (Le Narrateur, rôle chanté), Josef Špaček (Le Narrateur, rôle parlé), Lukáš Mareček (Un enfant, rôle parlé), Martinů Voices, Orchestre philharmonique tchèque, dir. Jiří Bĕlohlávek (live, Prague, Rudolfinum, 17-19/12/2014).
CD Supraphon SU 4233-2. Présentation quadrilingue (angl., all., fr., tch.). Livret bilingue (angl., tch.). Distr. DistrArt Musique.


Un opéra pastoral d’après le conte de Tolstoï Là où est l’amour, là est Dieu – mais qui empruntera un autre titre de l’écrivain russe et s’appellera Ce qui fait vivre les hommes. Une de ces partitions expérimentales, surtout, telles que les aime Martinů : il s’agit d’un opéra radiophonique, destiné à compléter, en 1952, Comédie sur le pont, qu’avait créé la Radio tchèque en 1937. Le compositeur étant encore exilé aux États-Unis, le privilège de la création revint aux étudiants d’une université du Michigan, accompagnés au piano. D’autres étudiants, ceux du Hunter College de New York, révélèrent trois ans plus tard la version originale avec orchestre. La patrie de Martinů, où il ne revint jamais, attendit 1964 pour découvrir l’œuvre, à Pilsen. Le sujet, il est vrai, ne risquait guère de plaire aux édiles communistes. Un vieux cordonnier, dont la femme et les enfants sont morts, se console en lisant la Bible et rêve que le Christ va venir lui rendre visite. Celui-ci, en réalité, s’incarne en tous ceux qu’il secourt : un ancien combattant, une pauvresse, un petit voleur à l’étalage. L’œuvre ne dure que quarante minutes : il n’en faut pas plus pour reconnaître aussitôt les couleurs, les rythmes, les harmonies typiques de Martinů. Magnifique version live, pleine de finesse et d’empathie, de Jiří Bĕlohlávek, entouré d’une équipe de chanteurs parfaite qui, fidèle au précepte du compositeur, se garde d’adopter le parti du grand opéra – « il faut chanter ça comme une chanson populaire, sans pathos ». Le sexagénaire Ivan Kusnjer porte encore très beau en cordonnier, Ester Pavlù est impeccable en Vieille dame, comme Jaroslav Březina en Narrateur. Dix ans avant What Men Live By, Martinů composait la première de ses six Symphonies à la demande de Serge Koussevitzky, qui voulait honorer la mémoire de sa femme Nathalie : en voici une splendide version, où le chef tchèque, qui avait déjà gravé deux intégrales du cycle, se concurrence d’abord lui-même. L’année suivante, en 2017, un cancer l’emportait.

Didier van Moere