Saimir Pirgu (Ernani),  Guanqun Yu (Elvira), Franco Vassallo (Don Carlo), Goran Jurić (Don Ruy Gomez da Silva), Prague Philharmonic, Choir Wiener Symphoniker, dir. Enrique Mazzola, mise en scène : Lotte de Beer (Festival Bregenz, 2023).

C Major. CM768204. Distr. DistrArt Musique.


L’opéra verdien qui nous est présenté, cinquième du compositeur et lointainement inspiré de la pièce homonyme de Victor Hugo, conjugue nombre d’éléments dramatiques et vocaux de nature à galvaniser metteurs en scène et interprètes, ce dont cette captation réalisée à Bregenz témoigne sans pour autant nous convaincre pleinement des fruits de leur investissement. L’action concoctée par le librettiste Piave est censée se dérouler en Espagne au début du XVIe siècle, alors que son héros éponyme, le noble Don Juan d’Aragon, se retrouve à la tête d’un groupe de rebelles afin de venger l’assassinat de son père par le roi de Castille. Empêché d’épouser son Elvira, promise à un vieux parent et convoitée par le futur Charles Quint, ce personnage suicidaire constituait avec ses rivaux un trio incandescent de nature à galvaniser le public libertaire de 1844.


La metteuse en scène néerlandaise Lotte de Beer, hier épinglée pour son Aida parisienne de 2021, n’a cure de ces données historiques. Dans le décor de murs en papier bientôt aspergés d’hémoglobine, les protagonistes torse nu, affublés d’un bonnet de nuit ou de vêtements maculés, multiplient les bagarres à l’épée. La belle Elvira en sous-vêtements s’étire quant à elle de manière lascive au pied d’un lit d’hôpital volontairement anachronique. Invoquer, comme s’y hasarde l’imprudente responsable de ces travestissements, Beckett et les aventures absurdes d’En attendant Godot, appauvrit la substance dramatique de l’ouvrage plus qu’elle n’y concourt. Le plateau, boosté par la direction complice d’Enrique Mazzola et son excellent orchestre viennois, ne trouve en Saimur Pirgu qu’un ténor présentement réduit à une émission basique, voyelles plates, aigus poussés, scansion crypto-vériste.  Son  Elvira minaude plus que de raison, au détriment d’atouts vocaux indéniables et notamment d’un cantabile que la pâleur de son medium ne peut transcender en slancio dramatique. Ni l’un ni l’autre ne se montrent vraiment à la hauteur d’une œuvre conçue dans la lignée du post-belcantisme donizettien mais imprégnée de la parole verdienne en gestation. Franco Vassallo exhibe a contrario en Don Carlo une prestance barytonale qui pallie les clowneries auxquelles on le contraint à se livrer.

 

J.C.

Notre édition d'Ernani/L'Avant-Scène Opéra n°296