Hugo Laporte (Mercutio) et Ismael Jordi (Roméo). Photos : Yves Renaud.

Conçue en bonne partie autour de Marie-Ève Munger qui fait tardivement ses grands débuts au Québec, cette production de Roméo et Juliette se distingue d’abord et avant tout par l’interprétation admirable du ténor espagnol Ismael Jordi. Héros incontestable de la soirée, il est un Roméo à la ligne de chant d’une grande pureté, au français extrêmement soigné (bien que perfectible) et à la mezza voce de rêve. Attentif aux moindres nuances de la partition de Gounod, il sait rendre toute la suavité de la cavatine du deuxième acte, maîtriser les longues phrases tendues du finale du troisième acte et conférer une grande expressivité à ses duos d’amour. Et comme si toutes ces qualités ne suffisaient pas, il possède de surcroît le physique de l’emploi et sait bouger avec naturel. Également douée pour le jeu, Marie-Ève Munger est une Juliette ravissante, certes, mais dont les qualités vocales ne sauraient se mesurer à celles de son partenaire. Annoncée comme étant en méforme, elle fait entendre une voix agile, au médium riche, qui s’amenuise toutefois dans l’aigu pour devenir aigrelette. Si la valse lui réussit assez bien, de même que le duo du deuxième acte, elle est dépassée par les exigences de l’Air du poison et du duo final.

Aux côtés de ce couple un peu dépareillé brille le Mercutio étincelant de Hugo Laporte, dont la Ballade de la reine Mab est un modèle d’élégance. À une diction parfaite il joint l’élégance du style et la pure beauté sonore, qualités que l’on retrouve dans son duel avec Tybalt et au moment de sa mort. Habitué de l’Opéra de Montréal, Alain Coulombe campe un Frère Laurent volontaire et au splendide timbre de basse, mais au legato parfois déficient. Pour sa part, Alexandre Sylvestre, Capulet à la voix étonnamment étouffée, ne semble pas au sommet de sa forme. Si la couleur sombre du timbre de Katie Miller surprend de prime abord, elle chante à ravir « Que fais-tu, blanche tourterelle », laissant peut-être entrevoir une future Charlotte, Carmen ou même Dalila. Déception cependant du côté du Tybalt au chant désordonné de Sebastian Haboczki.

Parmi les autres rôles secondaires, presque tous stagiaires à l’Atelier lyrique de l’Opéra de Montréal, on remarque particulièrement le Gregorio stylé du baryton Max van Wyck. Mention spéciale au chœur, à l’élocution qui flatte l’oreille et d’une belle vaillance au troisième acte. Après s’être lancés tambour battant dans une ouverture carrément bousculée, le chef Giuliano Carella et l’Orchestre Métropolitain trouvent leurs marques, puis servent au mieux les diverses péripéties du drame, notamment dans une Scène du balcon où les pupitres des cordes font merveille.

Malheureusement amputé du finale du quatrième acte et du prélude du dernier acte (« Le sommeil de Juliette »), ce drame prend place dans les décors à arcades conçus en 1986 par Claude Girard. Ce dernier a aussi dessiné les somptueux costumes, qui situent l’action pendant la Renaissance. Il y a peu à dire de la mise en scène de Tom Diamond, plus ou moins habile à faire évoluer le chœur et qui a tendance à planter les solistes à l’avant-scène pour leurs grands airs. Un détail s’écarte de ce que l’on voit habituellement dans la Scène du tombeau : Juliette se tue avec le poignard de Roméo et non pas avec celui qu’elle avait dissimulé sous ses vêtements avant de boire le narcotique. Cela étant, sa lecture respectueuse du livret se veut consensuelle, comme l’ensemble d’un spectacle dont on retiendra en premier lieu le magnifique Roméo d’Ismael Jordi.

L.B.

A lire : notre édition de Roméo et Juliette / L’Avant-Scène Opéra n° 41 (PDF)