Sans doute Michael Hampe a-t-il voulu résumer dans la figure de Titus tous les despotes « éclairés » présents, passés et à venir. Sa vision tissée de références historiques associée au décor néo-classique de German Droghetti – un atrium ouvrant sur une vue du Capitole directement inspirée des projets de Boullée pour l’Opéra de Paris – mêle subtilement la Rome impériale avec le dix-huitième siècle de la création de l’œuvre, auquel les costumes viennent ajouter quelques touches d’un vingtième siècle mal défini, quelque part entre 1930 et 1950. Lorsqu’apparaît Titus dans son uniforme d’apparat gris avec sa casquette plate et sa cape sur l’épaule, accompagné de cuirassiers portant des faisceaux vichystes, on croit plutôt reconnaître Tito que Titus. Le clin d’œil fait sourire tout comme cette vision de Sextus en caleçon et en chemise émergeant des bras de Vitellia dans la scène d’ouverture, tel Quinquin de ceux de la Maréchale. La mise en scène joue la carte du réalisme. Les deux « castrats » sont travestis à la perfection, Sesto en jeune officier de la garde et Annio en élégant diplomate. De ce point de vue, elle est parfaitement réussie ; mais, associée à une direction d’acteurs d’une théâtralité assez conventionnelle, elle ne donne qu’une vision superficielle du drame humain où l’émotion a été oubliée derrière les codes de l’opéra séria. La réception de cette mise en scène très classique ne paraît pas très consensuelle parmi un public habitué à des productions nettement plus audacieuses et étonne en tous cas dans la programmation d’une maison connue pour être à la pointe de la dramaturgie contemporaine.

Sans doute cette approche un peu figée passerait-elle mieux avec une distribution d’un autre niveau. À part le Sesto superbement timbré et totalement engagé d’Anna Goryachova, étonnante de vérité dans son rôle d’amoureux immature, personne ici ne convainc pleinement. Lothar Odinius, voix centrale mais claire et à l’aigu facile, est le Titus typique de la tradition germanique, raide et peu coloré, et surtout incapable de vocaliser – comme le montre son grand air de l’acte II. On lui reconnaîtra toutefois une belle diction italienne et beaucoup de style et d’autorité dans le récitatif. La Vitellia agitée d’Agneta Eichenholz, avec ses faux airs de Tosca, laisse assez indifférent au moins jusqu’à son rondo final où l’orchestre lui offre un beau soutien qui parvient à la rendre touchante. Très musical, l’Annio de Cecilia Molinari paraît un peu timide et en retrait, et devra s’affirmer en termes de projection. Le soprano léger très fruité d’Anat Edri ne donne pourtant qu’un relief très limité à Servilia.

Stefano Montanari traite à la hussarde tout ce qui dans l’œuvre relève encore de l’opéra séria – l’ouverture, la marche impériale, le chœur final – et presse excessivement les tempi dans le premier acte. Il se calme fort heureusement dans la seconde partie et offre un peu plus de musicalité à un opéra qui en réclame beaucoup. Il délivre quelques très beaux moments d’osmose entre le chant et l’orchestre, ce que ne laissaient pas espérer les brutalités et le son épais du premier acte.

A.C.

Photos : Annemie Augustijns.