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Jennifer Courcier (l'Infante Clara) et Mathias Vidal (le Nain).

En proposant la réduction pour 18 instrumentistes réalisée en 2014 par Jan-Benjamin Homolka, l’Opéra de Lille s’offre et nous offre un Nain non seulement adapté aux dimensions de sa fosse d’orchestre (la partition originale, quoique brève, réclame un orchestre étoffé de 90 musiciens qu’elle ne pourrait contenir) mais en outre très finement pensé et coloré. Le tissu, clarifié, révèle ici ou là des transparences presque ravéliennes, sans perdre pourtant de son intensité expressive et de sa charge émotive, et il faut saluer la prestation de l’Ensemble Ictus qui, sous la direction attentive et généreuse de Franck Ollu, entrelace ses timbres avec art (notamment le superbe cor anglais de Piet Van Bockstal, qui chante le thème du Nain avec un lyrisme à pleurer).

Ce nouvel équilibre s’avère idéal pour le plateau vocal qui privilégie le trait plutôt que la pâte, la subtilité plutôt que la dynamique : l’Infante de Jennifer Courcier (silhouette d’elfe nordique, caprices de princesse impeccablement mis dans son chant aussi juvénile que cruel) a des légèretés de Zerbinette, et ce ne sera pas faire injure à Mathias Vidal (le Nain) que de supposer que l’orchestration originale écraserait son timbre – d’autant que, même ici, sa quinte aiguë paraît souvent portée à ses limites. Fragilités qui pourtant n’empêcheront pas l’éloquence musicale et dramatique de l’artiste, d’un raffinement d’intentions (dynamiques, mezza voce, galbe du phrasé : rien n’est laissé au hasard ou à la facilité) qui n’a d’égal que son intelligence de jeu : regard, geste, démarche, candeur inconsciente se muant en douleur qui broie les entrailles, tout est donné du Nain en une progression magistrale. Julie Robard-Gendre traduit elle aussi avec justesse les hésitations de Ghita, entre empathie, curiosité et détachement, d’un timbre voluptueux riche d’autorité ; Christian Helmer est impeccable en Chambellan, tout comme les trois caméristes (Laura Holm, Fiona McGown, Marielou Jacquard) : un sans-faute que seul vient ombrer le chœur des Compagnes, manquant de relief dans son phrasé trop étale.

Quant à la production de Daniel Jeanneteau, elle est aussi belle à l’œil qu’intelligente à l’esprit. Sa scénographie est minimaliste mais surtout pas cheap, tout comme les costumes d’Olga Karpinsky : d’une sophistication qui est en soi signifiante et s’oppose d’autant mieux à la mise étriquée et sans grâce du Nain. Un jardin zen de pierres noire, un cadre de scène immaculé, une ouverture latérale vers une salle de bal invisible dont on aperçoit seulement la paroi d’or sont là pour dire le faste et la rigueur, l’inhumaine cour d’Espagne, architecturée par les lumières de Marie-Christine Soma. La table des cadeaux, où s’amoncellent bois de cerf décoratifs et étoles de fourrure, y apporte une touche de sauvagerie faussement civilisée. Servantes en escarpins, chambellan en semelles compensées, compagnes et Infante en plateformes : le grade s’élève avec le talon, pour mieux écraser le Nain en baskets (et jeans, et sweat-shirt : anonyme vêture de l’Etranger qui n’a pas les codes) – tout comme joueront contre lui les effets de perspective, accusés par les sols de différents niveaux. Quant à la tragique révélation finale, si le miroir frontal proposé par Jeanneteau n’est pas inédit, il a le mérite de son ambiguïté, nous plaçant simultanément dans la position du Nain et de ses scrutateurs – sans compter un petit effet hitchcockien, puisqu’il nous donne sur le protagoniste quelques minutes d’avance cruelles et douloureuses. C’est pertinent, poétique (jolie entrée des compagnes de l’Infante, entre Filles-Fleurs et Walkyries au petit pied) et terriblement émouvant, avec une direction d’acteurs qui touche au cœur. Ovation méritée pour Mathias Vidal, qui nous suspend aux affres intérieures de son personnage.

Après Royaumont, où elle fut travaillée et créée en août 2017, puis Lille ces jours-ci (reste encore ce lundi 20 novembre), la production accostera à Rennes en mars 2018. A vos agendas !

C.C.

A lire : notre édition du Nain + Une tragédie florentine / L’Avant-Scène Opéra n° 186


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Jennifer Courcier (l'Infante Clara, couteau en main, Christian Helmer (Estoban le Chambellan), Julie Robard-Gendre (Ghita, en escarpins rouges) et les trois caméristes (Laura Holm, Fiona McGown et Marielou jacquard). Photos : Frédéric Iovino.