OEP651_1.jpgPhoto : Louis Barsiat.

On avait manqué cette production lors de sa création au Café de la Danse en janvier 2016. Il fallait réparer l’injustice. Car non seulement Yes ! est un bijou de comédie musicale, mais son interprétation dans la production des Frivolités Parisiennes est tout simplement jubilatoire.

Créée en 1928 aux Capucines, Yes ! déploie tout le talent de Maurice Yvain, mêlant le meilleur de l’opérette et du musical naissant (un héritage de polka ici, un one-step là), trouvant un lieu poétique à la croisée de Messager et de Gershwin, s’autorisant des pastiches discrets (qu’ils soient fauréens ou « grand-opératiques ») toujours fondus dans un esprit singulier, aux audaces surprenantes mais justement dosées avec un sens parfait de l’entertainment. Le livret, qui déroule des quiproquos et désamours conjugaux extravagants, le fait sans une once de gras, assumant son statut de prétexte pour mettre d’autant mieux en valeur les lyrics idéaux d’Albert Willemetz – précis, imagés, élégants. Chaque chanson, chaque ensemble est une perle, allant de l’inattendu (le « duo du catalogue » entre Totte et Marquita) à l’hilarité larmoyante (impossible de rester de marbre devant le premier finale, sorte de grand concertato sous acide) sans s’interdire l’émotion (l’« Adieu aux électeurs » de César, bien qu’au second degré, distille un frisson réel).

Un bonheur ne venant jamais seul, les interprètes font une fête à la partition, à force de talents judicieusement complémentaires. A commencer par Nicolas Royer et Michaël Ertzcheid qui rendent justice à la version originale pour deux pianos, où Yvain réclame autant de virtuosité que de tact : déferlantes perlées, pédale mesurée, équilibres soyeux, bravi ! Sous leurs regards (et leur oreille !) attentifs, la troupe d’acteurs-chanteurs partage une même énergie (un brin impatiente chez Alexandre Martin-Varroy, très tenté par l’anticipation !, mais qui assume un Monsieur de Saint-Eglefin joliment content de lui), brosse un portrait de groupe où le travesti hyper-femme (Charlène Duval, vrai panache !) croise le jeune fat (Emilien Marion, qui a les moyens de jouer le ténor-de-ces-dames), entre grand patron inhumain-qui-découvrira-la-tendresse (Julien Clément, belle autorité vocale pour son entrée en scène digne d’un Méphisto mégalo) et jeune héritier écrasé-par-papa (Guillaume Durand, dont le jeu plus ténu sert finalement le personnage). Qu’importent les quelques faiblesses parfois décelables : elles disparaissent sous l’esprit piquant de l’ensemble. Il faudrait citer toute l’équipe, mais la plus remarquable est sans doute Sandrine Buendia, qui dessine une Totte sensible et lyrique. Outre des registres intacts et homogènes (ce qui est rare dans le parlé/chanté), son timbre pulpeux, sa technique maîtrisée (mezza voce délicate, vibrato parfaitement dosé), sa diction superlative et sa présence rayonnante donnent envie de la réentendre plus souvent, et dans d’autres répertoires.

Avec peu de moyens techniques, la mise en scène de Christophe Mirambeau fait mouche, privilégiant une direction d’acteurs au rythme comique soigneusement chronométré. La mise en espace et la chorégraphie ménagent quelques effets sympathiques et les costumes évoquent les années vingt, leur côté graphique et déluré, les mâtinant de jupes « crayon » plus modernes.

On rit, on admire, on est heureux d’avoir passé la soirée avec une œuvre délicieuse et délicieusement mise en valeur par de jeunes talents qui ne cèdent rien à la facilité supposée de ce répertoire.

Courez, jeudi prochain 19 octobre, au Théâtre impérial de Compiègne, ou bien le 21 au Théâtre Jean-Vilar de Saint-Quentin !

C.C.