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D’abord présenté à Bordeaux en septembre 2015, ce Don Carlo mis en scène par Charles Roubaud atteint à une austère grandeur qui sert à merveille l’âpre beauté du chef-d’œuvre de Verdi. Composés essentiellement de blocs amovibles servant d’écrans de projection, les décors retiennent finalement bien peu de chose de l’Espagne de Philippe II mais créent une atmosphère le plus souvent oppressante, en particulier dans le couvent de Saint-Just et la chambre du roi, où les images morbides sont saisissantes. Une chape de plomb pèse sur tous les sujets de l’empire, ce que semblent même symboliser, dans le jardin du cloître, les barreaux qui emprisonnent les arbres. La scène la moins satisfaisante est sans doute celle de l’autodafé, où les projections créent une certaine confusion entre l’intérieur et l’extérieur de l’église et où le metteur en scène ne sait pas vraiment que faire du chœur et surtout des moines (12 figurants), qui se contentent de défiler tout en balançant en cadence leur encensoir. En revanche, le tableau s’achève sur une image puissante : le mur du fond s’ouvre pour former une croix sur laquelle est projetée l’image des suppliciés qui jusque-là étaient demeurés invisibles.

Pour cette série de représentations, l’Opéra de Marseille a réuni des artistes doués d’évidentes qualités de jeu et qui font honneur au chant verdien. À cet égard, le baryton Jean-François Lapointe campe un marquis de Posa racé et au suprême raffinement vocal qui trouve son accomplissement dans une mort absolument bouleversante. Sa prestance naturelle rend parfaitement crédible l’ascendant qu’il exerce sur le roi de Nicolas Courjal, dont les épaules paraissent bien frêles pour supporter le poids de la moitié du monde. Si le timbre demeure encore un peu jeune, ce Philippe II connaît à merveille l’art de la nuance musicale et possède un grave impressionnant, qualités qui compensent des aigus un peu tendus et certaines fins de phrases presque inaudibles. Le ténor roumain Teodor Ilincai n’éprouve pas pareilles difficultés, en raison de moyens quasi wagnériens dont il a parfois tendance à abuser, mais on lui pardonne aisément quelques éclats tonitruants car son Infant d’Espagne vit intensément son désespoir amoureux et donne véritablement l’impression d’être habité par le spleen. Dans le rôle d’Elisabetta, Yolanda Auyanet inspire d’abord quelques inquiétudes : avare de couleurs, la voix ne se déploie pas avec aisance. Puis, comme par enchantement, « Tu che le vanità » révèle une grande voix de soprano lyrique, à laquelle font toutefois défaut les aigus élégiaques. L’Eboli de Sonia Ganassi possède un caractère bien trempé qui s’affirme dès une chanson du voile énergique, puis dans un « O don fatale » électrisant. Également très solide, le Grand Inquisiteur de Wojtek Smilek – qui ne semble ici pas aveugle – traduit fort bien l’autorité implacable de son personnage odieux. Parmi les rôles secondaires, il faut relever la très belle Voix céleste d’Anaïs Constans et l’excellent Héraut du ténor Camille Tresmontant. Dans la fosse, Lawrence Foster galvanise l’Orchestre et le Chœur de l’Opéra de Marseille et confère un exceptionnel sentiment d’urgence dramatique au drame de Schiller revisité par Verdi.

L.B.

 Notre édition de Don Carlos : L’Avant-Scène Opéra n° 244.


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Jean-François Lapointe (Posa) et Teodor Ilincai (Don Carlo). Photos Christian Dresse.