OEP596_1.jpgMariane Crebassa (Fantasio) et Marie-Eve Munger (Elsbeth).

 

En janvier 1872, la création de Fantasio à l’Opéra-Comique faisait un four après une dizaine de représentations seulement : moins d’un an après la guerre franco-prussienne, cet ouvrage d’un compositeur d’origine allemande, dont l’action se déroule en Bavière et se clôt sur un triomphal chœur de paix, avait peu d’atouts diplomatiques pour mettre le public dans sa poche… Offenbach y filait pourtant la veine douce-amère de Musset au travers du livret de Paul, aîné d’Alfred – pour lequel il avait déjà imaginé la « Chanson de Fortunio », pièce isolée destinée à la pièce Le Chandelier puis opéra-comique à part entière créé quatre ans après la mort du poète.

145 ans plus tard, l’Opéra-Comique donne une seconde chance à l’ouvrage en ouvrant avec lui sa saison 2017 – mais sur la scène du Théâtre du Châtelet pour cause de travaux de rénovation prolongés côté salle Favart. Les moyens scéniques et musicaux sont propres à lui offrir un beau triomphe et à soutenir l’intérêt pendant toute la soirée pour une partition aux beautés délicates, ici ou là annonciatrices des langueurs mélodiques d’Hoffmann, mais dont la dramaturgie faiblit au cours des actes et dont la part la plus potache (l’échange d’identités entre le prince de Mantoue et son aide de camp Marinoni) est la moins convaincante.

Fantasio, jeune étudiant désenchanté et sans le sou prenant la place du bouffon du roi pour mieux approcher la princesse Elsbeth, a les traits et la voix de Marianne Crebassa : très crédible en travesti dégingandé, la mezzo-soprano investit pleinement le personnage scénique, son spleen lunaire comme son insolence bravache, et épanouit généreusement sa voix malgré une certaine dureté. Elle forme un couple très complémentaire avec l’Elsbeth de Marie-Eve Munger dont on pardonne les verdeurs de timbre tant la grâce du style et l’esprit du jeu dont un plaisir permanent. Le roi son père ? Un Franck Leguérinel dont le vibrato un peu lâche convient bien au monarque débonnaire ; sa voix parlée, à la projection magistrale et pourtant jamais forcée, est une leçon d’opéra-comique – on n’en dira pas tant du reste du plateau, dirigé un peu à l’excès de ce point de vue-là. Le duo Prince/Marinoni (Jean-Sébastien Bou/Loïc Félix) est également complémentaire, le premier plaisamment déclamatoire, le second plus vibrionnant – et lui aussi tout à son affaire avec l’alternance de parlé/chanté propre au genre. Parmi les comparses de Fantasio, chacun sans faute et tous joliment associés, on remarque le Sparck de Philippe Estèphe, exact et singulier. Le Chœur Aedes est irréprochable musicalement mais sans la perfection d’élocution que l’on pourrait espérer ; en fosse, l’Orchestre Philharmonique de Radio France est porté par la direction volubile et attentionnée de Laurent Campellone : les ouverture et préludes symphoniques délivrent des trésors de sensibilité – notamment un ensemble de violoncelles de toute beauté.

On sent cette réussite de troupe indissociable de la mise en scène de Thomas Jolly qui, après avoir inauguré la saison 2016/17 de l’Opéra de Paris avec Eliogabalo de Cavalli, se confrontait cette fois à Offenbach. Pari tenu haut la main : la gestion des chœurs et ensembles est virtuose, les enchaînements scéniques sont fluides, l’invention sur les airs strophiques, brillante (l’air d’Elsbeth à l’acte II est un délice névrotico-comique). Les clins d’œil, interpolations musicales ou dramaturgiques sont toujours drôles ou tendres et, surtout, légers, jamais appuyés. Cela tient aussi à une scénographie à la grande cohérence, qui assume le parti pris nocturne d’une pénombre animée de l’intérieur, créant fantaisie et rêve – ainsi que la possibilité du cauchemar. Les décors de Thibaut Fack et les costumes de Sylvette Dequest dessinent un univers rétrofuturiste et cartoonesque, quelque part entre Adèle Blanc-Sec et Gotham City version Tim Burton, ouvrant tout autant la porte aux anarchistes du Second Empire qu’aux bas-fonds brechtiens ou au cinéma muet (avec obturateur photo géant). Seule l'explosion de couleurs finales déçoit un peu, semblant plus paresseuse en regard du soin luxueux  déployé dans la palette de noir et blanc des tableaux précédents. Les lumières d’Antoine Travert et Philippe Berthomé sont part fondamentale du spectacle et de sa beauté : techniques et poétiques à la fois, jouant de l’ombre chinoise et de la lanterne magique, créant un imaginaire changeant et mystérieux. Belle revanche de Fantasio !

C.C.


OEP596_2.jpgFranck Leguérinel (le roi de Bavière). Photos : Pierre Grosbois.