OEP573_1.jpg
Dimitry Ulyanov (Daland).

 

La vision que Tatiana Gürbaca donne du Vaisseau fantôme laisse au final le spectateur plein de questions et en quête de cohérence. Qui est donc ce Hollandais Volant aux allures vaguement prophétiques que l'équipage de Daland malmène après la signature du contrat lui cédant Senta et dont le trésor recèle un bric-à-brac de crucifix en tous genres ? Sa présence fait se multiplier les billets de banque, briller l’or, couler la manne du pétrole et sa disparition laisse le peuple exsangue et Senta en état de survie. Est-ce une sorte de Messie, comme le laisserait à penser la scène de dérision qui clôt le premier acte, ou un avatar du Juif Errant en quête de rédemption, comme on le dit souvent pour expliquer la légende ? Pour Daland, les choses sont plus claires. En costume et en bottes, cravachant son équipage de matelots débilités par le travail et la misère, et finalement brûlant, désabusé, ses billets de banque, il représente nettement un capitalisme sauvage et sans état d'âme, prêt à tout sacrifier au profit, y compris sa propre fille. Quant à Senta et à Éric, tous deux en sweat-shirt à capuche, la mise en scène en fait deux figures d’adolescents : elle, exaltée et en pleine rébellion – comme le montre la scène des Fileuses devenues ici des ménagères hystériques, obsédées par les hommes absents et par le nettoyage de ces traces de pétrole qui maculent tout d'un bout à l'autre de la mise en scène ; lui, être falot, amoureux en quête de consolation maternelle. À défaut d'un propos clairement tranché, beaucoup d'images fortes souvent teintées d'une violence plus ou moins exprimée captivent : celle de la fête qui précède le mariage de Senta et du Hollandais, traitée comme une sorte de rite païen, ou bien le réveil de l'équipage fantôme, transformé en une scène de transe des villageois ; celle aussi où Senta et le Hollandais, face à face, se déshabillent irrépressiblement tandis que Daland tente vainement de sauver les apparences.

Le chœur est largement mis à contribution sur le plan théâtral et sa prestation est à la hauteur d'une exceptionnelle performance orchestrale. On ne saurait en dire autant du plateau vocal où chacun débute dans son rôle et que sauve en grande partie la qualité de la direction d'acteurs et la richesse et les ambiguïtés de la mise en scène. Annoncé grippé, Iain Patterson ne semble pas vraiment posséder la dimension vocale et le charisme indispensable au rôle-titre, avec une voix sans profondeur qui est plutôt celle d'un simple baryton que d'un véritable baryton-basse. On doit reconnaître à Liena Kinca une projection et un engagement méritoires mais l'aigu systématiquement forcé et l'intonation souvent problématique laissent une impression mitigée. Ladislav Elger, que l'on avait beaucoup apprécié dans Lady Macbeth de Mzensk ou dans Mahagonny n'a pas vraiment l'étoffe pour un rôle de ténor lyrique comme Éric dont la longue tessiture le met à rude épreuve. Le seul véritable belcantiste de la distribution – car le Wagner du Vaisseau fantôme réclame aussi du bel canto – reste le Daland de Dimitry Ulyanov dont la rondeur du timbre et la souplesse de la ligne vocale comblent les attentes. Une mention pour la Mary de Raehann Bryce-Davies, au timbre chaleureux et à la forte présence jusque dans les scènes d'ensemble. Le pilote d'Adam Smith possède quant à lui une belle allure scénique mais le timbre paraît un peu acide pour ce rôle de ténor di grazia. Puissante, engagée, valorisant l’orchestration largement basée sur les cuivres, la direction de Cornelius Meister porte le spectacle et les scènes d’ensemble jusqu’à un rare degré d’incandescence, ce qui compense largement les limites du plateau et contribue à la forte impression que laisse ce spectacle un peu abscons, surchargé d'intentions mais souvent fascinant.

A.C.

Notre édition du Vaisseau fantôme : L’Avant-Scène Opéra n° 30 (mise à jour : 2010).


OEP573_2.jpg
Ladislav Elger (Eric). Photos : Annemie Augustijns.