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Johan Reuter (le Hollandais) et Matti Salminen (Daland).

 

Pour Peter Konwitschny, le Hollandais ne doit pas attendre sept ans mais des siècles, voire l’éternité, pour tenter de trouver l’ange salvateur. A l’univers de Daland, qui pourrait être la Norvège d’aujourd’hui, il oppose celui du maudit, tout droit sorti, avec son équipage, d’un tableau de l’école flamande – comme le décor carton-pâte du premier acte où se font face les passerelles des deux vaisseaux. Le Hollandais ne vient pas d’ailleurs, il vient d’un autre temps, figé dans le refus de l’Histoire, accroché à l’image d’une jeune fille assez désincarnée, qui passe et repasse sur la scène. Au deuxième acte, il fait mettre à Senta une vieille robe de mariée poussiéreuse – pour un peu, elle tiendrait de la camisole. Or nous sommes dans une salle de fitness où les Fileuses, coachées par Mary, pédalent allègrement pour garder leur ligne et où Erik déboule en peignoir après une séance de sauna : deux univers incompatibles, leurs valeurs aussi – l’idéal du Hollandais s’incarne en un ange, celui des Fileuses dans le tour de taille. Comment pourrait-il croire à la fidélité de Senta quand il surprend, à la fin, sa conversation avec Erik ? Dans un monde sans rédemption – celui de la première version de l’œuvre –, elle mettra le feu à un baril, provoquant une sorte d’apocalypse : la musique, du coup, s’arrête, remplacée par un vieux gramophone. Non seulement personne n’est sauvé, mais tout est détruit – pas seulement deux individus. La fin du Ring, déjà ? Les lumières se rallument, sur le plateau tout le monde s’apprête à saluer. De quoi nous bousculer dans notre rapport à l’histoire et à l’opéra en général.

Or nous n’avons pas marché : ces dernières mesures qu’on n’entend pas, ça ne passe pas, ça casse tout. Comme si quelque chose nous avait été volé. Dommage : jusque-là, on trouvait que la production n’avait pas pris une ride, qui jouait avec virtuosité sur l’opposition des deux mondes et sur le mélange des registres – le début du deuxième acte est hilarant. Et jamais la direction d’acteurs n’était sacrifiée au concept.

Si Konwitschny est un brillant représentant du Regietheater, Asher Fisch compromet la soirée par une direction lourdingue, bruyante et sans nuances, parfois décalée, à l’opposé de ceux qui nous rappellent – avec raison –  ce que Le Vaisseau doit encore à Weber. Ne sait-il pas, alors qu’il dirige – trop ? – souvent à Munich, que la fosse est sonore ? Deux jours après Le Chevalier à la rose par Kirill Petrenko, c’est dur. Les chanteurs, heureusement, sauvent la mise – le chœur aussi.

Le Danois Johan Reuter campe un Hollandais partagé entre la naïveté et le cynisme,  parfois autodestructeur, qui a du mordant dans la déclamation et dans le timbre, mais sait phraser les grands passages lyriques. Senta, ici, n’est pas hystérique, mais pleinement consciente du sacrifice auquel elle consent : ni faille ni fêlure chez Catherine Naglestad, qui plie sa voix aux nuances de la partition, dès la Ballade, construisant son personnage pour exploser littéralement à la fin – avec des aigus incroyables. Après tant d’années de carrière, Matti Salminen ne peut afficher la même santé vocale, la voix ne résistant guère que du médium à l’aigu. Mais Daland est là tout entier, truculent, cupide et brutal, donnant du relief au moindre mot… si bien qu’on oublie le reste. Wookyung Kim montre une vaillance qu’on n’associe pas toujours à Erik, vocalement et stylistiquement très sûr, nuancé également, rien moins que pauvre garçon. Le Pilote de Dean Power et la Mary d’Okka von der Damerau ont eux aussi une voix et une présence.

D.V.M.

Notre édition du Vaisseau fantôme : L’Avant-Scène Opéra n° 30


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Catherine Naglestad (Senta). Photos : Wilfried Hösl.