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Günther Groissböck (Ochs) et Anja Harteros (la Maréchale).

 

S’il s’ouvre volontiers à la modernité la plus radicale, à travers les Tcherniakov ou les Warlikowski, l’Opéra de Munich reste fidèle, pour Le Chevalier à la rose, à l’ancienne production d’Otto Schenk et Jürgen Rose, inaugurée en 1972 par le génial Carlos Kleiber et souvent portée au sommet par les chanteurs et chanteuses que l’on sait, qui aujourd’hui se sont tus – merci le DVD. Tient-elle encore sans eux ? Oui, si l’on accepte cette littéralité historiciste, ces splendeurs rococo – le décor de Rose pour le deuxième acte reste superbe. Et c’est très bien réglé, au plus près du texte et de la musique. Même sans exagérer les farces et attrapes dont le pauvre Baron subira l’opprobre, le troisième acte passe en revanche moins bien… mais cela ne tient-il pas aussi à l’œuvre elle-même ? Certes, un Herbert Wernicke a, depuis, réalisé le tour de force de renouveler le propos en lui restant fidèle. Mais quand la distribution et le chef sont là, avouons qu’on ne boude pas son plaisir.

C’est justement le cas. Anja Harteros, que Paris a tant regrettée, s’identifie à la Maréchale par la séduction et la distinction, belle, jeune et désirable, coquette ou mélancolique, d’un naturel exquis dans le raffinement, soumettant une voix à son apogée – les aigus du troisième acte ne s’épanouissent pas ainsi chez tout le monde – à la déclamation très particulière de la « Komödie für Musik ». Déjà superbe à Paris, Daniela Sindram est aussi un des plus beaux Chevalier du moment, grâce à son mezzo clair d’abord, charnu et juvénile, ensuite parce qu’elle en a les élans et les hésitations, sans parler de la maîtrise de la ligne et du phrasé. Quant à Hanna-Elisabeth Müller, voilà une Sophie rien moins qu’oie blanche, qui non seulement sait émettre ses aigus piano – encore qu’on les souhaiterait plus diaphanes – mais a aussi de la substance dans le médium. Si le grave se corse et fait de lui une vraie basse profonde, Günther Groissböck sera l’Ochs idéal, tel que l’a défini Strauss : ni grossier ni vieux, seulement hobereau, Don Juan de campagne, sachant avoir des manières dans le boudoir de la Maréchale. Il phrase et chante son Baron, que tant d’autres parlent, auquel il confère même quelque chose de trouble et d’inquiétant derrière le sourire carnassier, beaucoup plus complexe qu’il y paraît. Les autres rôles sont excellemment tenus, à commencer par le Faninal dépassé de Martin Gantner – mais Yosep Kang force son Chanteur, qui n’a vraiment rien d’italien.

Kirill Petrenko dirige avec un enthousiasme et une gourmandise qui galvanisent l’orchestre de l’Opéra. Il y a là autant de souplesse que de couleurs, de clarté que de sensualité, de maîtrise que d’abandon. Virevoltante ou extasiée selon les moments, sa direction est tellement narrative qu’elle fait passer les longueurs du troisième acte, jouant admirablement sur les tensions et les détentes. Petrenko ne succombe donc jamais à l’hédonisme sonore de la virtuosité straussienne, alors qu’il trouve, lui qui pourtant vient d’ailleurs, le secret des courbes de la valse viennoise.

D.V.M.

A lire : notre édition du Chevalier à la rose, L’Avant-Scène Opéra n° 69-70


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Photos : Wilfried Hösl.