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Dominique Meyer, Sophie Koch et Josef Ostermayer (Ministre des arts et de la culture) lors de la remise du titre de Kammersängerin à la mezzo-soprano, le 3 mars 2016. Photo : Wiener Staatsoper / Michael Poehn.

 

Coproduite avec le Festival de Salzbourg où elle fut créée à l’été 2012, Ariane à Naxos selon Sven-Eric Bechtolf fut présentée à la Wiener Staatsoper dès le mois de décembre suivant, avec de substantielles modifications dues au passage d’une production festivalière – avec ses moyens exceptionnels et son audace événementielle – au système de répertoire – avec son budget cadré et ses reprises à faire tourner. A Salzbourg, cette Ariane flirtait avec la « version 1912 », tout en en évitant les longueurs et en trompant l’authenticité avec la relecture : pas de Bourgeois gentilhomme intégral, mais une réécriture du prologue par Bechtolf lui-même faisant intervenir deux nouveaux personnages, Hugo von Hofmannsthal himself et la belle « Ottonie » en amante-mécène. A Vienne, retour à la version habituelle, mais où l’on conserve tout le sel de la mise en scène de Bechtolf, à savoir la mise en abyme de l’opéra Ariane « représenté » devant son commanditaire – l'île de Naxos est d'ailleurs un îlot de pianos déstructurés, décor de Rolf Glittenberg frôlant le dadaïsme tout comme les costumes circassiens de Marianne Glittenberg. La rivalité entre la prima donna interprétant Ariane et Zerbinetta, qui prend soudain le premier plan pour son air de près de quinze minutes (!), les interventions d’Echo si satisfaite de ses petits solos, les Comédiens italiens entrant et sortant de scène au gré de leurs apartés sporadiques : tout fait sens brillamment et avec humour, assaisonné de la présence muette du Compositeur qui veille, inquiet, sur son ouvrage en création, et tente d’intervenir ici et là avec plus ou moins de bonheur. Si Bechtolf respecte le sublime du mythe (les bougies allumées pour le duo Bacchus/Ariane rompent la distance ironique et haussent la représentation au niveau d’une liturgie), il préfère néanmoins in fine boucler la boucle des indices semés par Hofmannsthal dans son prologue : tandis que les interprètes d’Ariane et Bacchus sortent de scène pour se congratuler, la dernière image est consacrée au couple Compositeur/Zerbinetta – un artiste et sa nouvelle muse, amoureux bien réels et d’une jeunesse prête à tout.

Image qui tombe à pic pour cette reprise, tant il aurait été difficile de clore sur une apothéose Ariane/Bacchus… Une annonce aurait peut-être atténué la consternation du public à l’écoute de Gerhard A. Siegel ; mais une méforme seule peut-elle expliquer ce chant en total désarroi de soutien comme d’intonation, et un timbre qui est de Mime plus que de Siegfried ? En tout cas la sentence est tombée, et c’est Herbert Lippert qui est annoncé pour les prochaines représentations (7, 12 et 15 mars). Quant à Ariane, Krassimira Stoyanova ayant été victime d’une mauvaise chute, c’est à Gun-Brit Barkmin que revient le défi de la remplacer ; bien qu’ayant déjà expérimenté le personnage à Leipzig, elle n’a pas la majesté vocale d’une Ariane ni sa prestance en scène. Une annonce, pour le coup, aurait au moins souligné son mérite, tout comme celui de Hila Fahima prenant au pied levé la place de Daniela Fally en Zerbinetta : certes précautionneuse, l’œil sur le chef (qui ne le serait en ces conditions ?!), cette jeune soprano en troupe à la Staatsoper s’affirme peu à peu jusque dans son grand air – médium ténu mais aigus cristallins et présence joueuse. Son exact opposé en terme d’expérience de l’ouvrage est le Compositeur de Sophie Koch – nommée la veille Kammersängerin lors d’une touchante cérémonie à la Wiener Staatsoper : décerné à l'instigation du directeur de la maison, en l'occurrence Dominique Meyer, et sur décision du Ministre des arts et de la culture du gouvernement autrichien, ce titre honore en elle (après avoir été attribué, côté Français, à Natalie Dessay et Roberto Alagna) l'artiste qui a su si bien servir le répertoire straussien – et notamment à la Staatsoper de Vienne. Poisson dans l’eau dans le personnage du Compositeur, sa solidité intrinsèque compense ici la direction sans poésie ni grandes nuances d’un Cornelius Meister, peut-être inquiet surtout de sa distribution recomposée in extremis…  Avec le solide Maître de musique de Jochen Schmeckenbecher, des Comédiens italiens homogènes (et fort bien réglés dans leur chorégraphie à trottinette !) et le Majordome délicieusement blasé de Peter Matic, c’est bien la part buffa de cette Ariane que l’on retient le plus volontiers.

C.C.

Notre édition d’Ariane à Naxos : L’Avant-Scène Opéra n° 282.