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Assis au premier plan : Gerald Finley (Hans Sachs), Günther Groissböck (Veit Pogner) et Bo Skovhus (Sixtus Beckmesser).

 

Ce sont les Maîtres Chanteurs du Festival de Salzbourg 2013 qu’accueille aujourd’hui l’Opéra Bastille, avec un indéniable succès. Car la production fait montre de qualités conjuguées, aussi bien musicales que scéniques, qui permettent à l’unique comédie de la maturité de Richard Wagner de retrouver son rang à l’Opéra de Paris, où elle n’avait pas été représentée intégralement depuis 1989.

Saluons d’emblée les chœurs, superlatifs : quelle année admirable, après Moïse et Aaron puis La Damnation de Faust ! Le travail de José Luis Basso est parfaitement en phase avec celui de Philippe Jordan, qui conduit une soirée au panache jamais pompeux, flamboyante mais également d’une subtile délicatesse de touche : ces Meistersinger-là cherchent moins à glorifier le « saint art allemand » qu’à en révéler les saveurs croisées, terriennes et spirituelles, réflexives et fantasques. En phase également, la mise en scène de Stefan Herheim, qui se joue de tous les clichés. L’action semble surgie de l’inspiration d’un Sachs, éveillé au cœur de la nuit en pleine fièvre créatrice – mais c’est Beckmesser qui, à la toute fin, clôt la boucle et apparaît exultant d’avoir composé un chef d’œuvre. Les décors de Heike Scheele – un intérieur Biedermeier avec bustes tutélaires de Wagner, Beethoven et Goethe –, les costumes de Gesine Völlm où ne manquent ni un tablier de dirndl ni un bouton de guêtre, changent d’échelle ou rencontrent soudain les personnages de Grimm pour une nuit de la Saint-Jean dévergondée où le Petit Chaperon rouge et Blanche-Neige et ses Nains semblent habités par un esprit de joyeuse exaltation des sens. Exaltation qui envahit d’ailleurs les Maîtres Chanteurs dès que Walther – aussi blond et fat qu’un Prince Charmant – ouvre la bouche…

On s’amuse avec ces Meistersinger tout comme Wagner s’y amuse, mais jamais contre eux : la direction d’acteurs de Stefan Herheim dessine des personnages pleins et généreux, d’autant que les interprètes servent le projet à très haut niveau. Brandon Jovanovich est un Walther von Stolzing de grande élégance, au timbre sombré mais éloquent ; lui répond l’Eva de Julia Kleiter, lumineuse et charnelle à la fois. Le couple parallèle, David/Magdalene, est servi par Toby Spence, d’une infinie musicalité même si son chant perd un peu de projection dans le vaisseau Bastille, et Wiebke Lehmkuhl – timbre opulent, pour le coup. Günther Groissböck est un Pogner d’autorité, tout comme Michael Kraus qui fait sortir du lot son Kothner de belle prestance. On aura réservé pour l’envoi final Bo Skovhus, Beckmesser au formidable instinct burlesque, et Gerald Finley, qui exprime toutes les facettes de Hans Sachs avec une troublante justesse. Poignant en amoureux inavoué qui se sait grisonnant, admirable en ami protecteur, superbe en artiste passionné, il mène la représentation du début à la fin, concentre à lui seul tous les enjeux des Meistersinger. Plus qu’interprète : recréateur sous nos yeux de Sachs selon Wagner, et de Wagner selon la plus humaine complétude. Un très grand artiste.

C.C.

Notre édition des Maîtres Chanteurs de Nuremberg : L’Avant-Scène Opéra n° 279.


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Au centre : Julia Kleiter (Eva) et Brandon Jovanovich (Walther von Stolzing). Photos : Vincent Pontet / OnP.