Ariane en concert, même avec mise en espace, alors que c’est pur théâtre ? Pour l’Opéra, passe encore, mais le Prologue ? Kirill Petrenko avait donc, aux Champs-Elysées, un sacré défi à relever à la tête des forces bavaroises qu’il dirige depuis deux saisons. Il l’a fait, justement, grâce à une direction claire et cursive, qui imprime à ce Prologue un rythme qu’on ne trouve pas toujours à la scène : aucune rupture entre les registres, entre le parlé du Majordome et le chant des autres – parfois d’ailleurs simple musicalisation de la parole. Mais les protagonistes ne l’ont guère aidé, alors que les rôles secondaires étaient parfaitement tenus et que Markus Eiche imposait d’emblée un Maître de musique en voix et chantant ses notes, à rebours d’un usage fort répandu. Alice Coote, qu’on a pu tant aimer ailleurs, déçoit ainsi beaucoup : malgré de jolies nuances, son Compositeur est plus agressif que passionné, strident surtout, sans le moindre charme adolescent, avec des phrasés trop raides. Petite voix courte de timbre et de médium, la Zerbinette de Brenda Rae est inexistante et Johannes Klima n’a pas l’autorité du Majordome.

L’Opéra, heureusement, réserve d’autres plaisirs. Le futur chef de la Philharmonie de Berlin avance, avec une alacrité jamais sèche, enchaîne naturellement seria et buffa, sans émacier le premier ni empeser le second, faisant jouer les timbres d’un orchestre dont il préserve la dimension chambriste jusque dans les pages les plus chargées – manque seulement un peu de sensualité. Il est vrai aussi que Munich, depuis presque un siècle, entretient avec Ariane une relation privilégiée…

Branda Rae est plus présente que dans le Prologue, avec un air bien assumé, mais sans la sensualité de Zerbinette, très prosaïque dans la composition – la dernière réplique tombe totalement à plat. Elliot Madore fait aussi un Arlequin assez pâlichon. Les autres comiques et les nymphes font bien leur office. Beaucoup, évidemment, étaient venus pour le couple Anja Harteros-Jonas Kaufmann – savaient-ils tous que Strauss n’a consenti que vingt minutes à Bacchus ? Si la défection de la soprano allemande a pu les décevoir, ils ont entendu une Ariane de très grande classe : l’Américaine Amber Wagner. Voix longue, partout charnue, émission souple et maîtrisée, ligne patricienne remarquablement tenue, c’est bien là une fille de roi, à laquelle le ténor allemand n’a nullement fait de l’ombre. Un jeune dieu irradiant, de bronze et de velours, un peu éprouvé parfois par les tensions de Bacchus, alors qu’il garde assez de souplesse pour murmurer « Du schönes Wesen »… mais en détimbrant. Et l’émission obstinément sombrée ne s’accommode pas toujours des aigus du rôle – pour éviter l’accident, il négocie les dernières mesures en voix mixte. Bref : le Kaufmann d’aujourd’hui, à un tournant d’une évolution qu’on aurait du mal à prédire.

D.V.M.

A lire : notre édition d’Ariane à Naxos (versions I et II), L’Avant-Scène Opéra n° 282 (2014).