OEP496_1.jpgLeonardo Caimi (Don Carlo) et Tassis Christoyannis (Posa).

Au-delà d’une intrigue foisonnante où s’enchevêtrent des thèmes chers à Verdi (amour impossible, lutte pour la liberté, critique religieuse), la richesse de Don Carlo réside dans la complexité des personnages principaux. Dans cet opéra de la nuance, chacun possède sa part d’ombre et de lumière. C’est pourtant la richesse de ces tiraillements intérieurs que la nouvelle production bordelaise peine à restituer. Il est vrai que la salle (Auditorium Dutilleux) ne se prête pas à un grand déploiement de moyens ; force est d’ailleurs de reconnaître que la mise en scène de Charles Roubaud présente une indéniable efficacité : projections vidéo en guise de décors, costumes évoquant un XVIe siècle stylisé, peu d’accessoires – la nudité du plateau ayant cet avantage de faciliter la concentration de l’action. Cependant, à défaut d’une direction d’acteurs assez fine pour souligner tous les paradoxes et ambiguïtés des protagonistes, le spectacle reste en surface de son sujet. En effet, si cette démarche illustrative un peu trop appuyée favorise la lisibilité de l’intrigue, son manque d’aspérité finit par susciter une légère monotonie, que renforce le ridicule de certains fonds vidéo (treillage de feuilles pour le jardin de la reine, vanité avec tête de mort lors du grand air de Philippe II).

Outre ces difficultés liées à une salle semblant plus adaptée aux concerts qu’aux représentations scéniques d’opéras, la production a subi deux défections d’importance : Alain Lombard à la direction d’orchestre et Carlos Ventre dans le rôle-titre. De fait, malgré une présence scénique charismatique, le remplaçant de ce dernier, Leonardo Caimi, ne convainc pas, notamment en raison d’un manque d’aisance dans les aigus et d’une projection vocale souvent maladroite. A ses côtés, le Rodrigue de Tassis Christoyannis séduit par son timbre enveloppant et un subtil dosage des nuances –tout en faisant regretter une certaine raideur du chant, laquelle déteint d’ailleurs sur le personnage dont l’incarnation semble perdre en relief et subtilité. Adrian Sâmpetrean campe un Philippe II au timbre caverneux, au volume imposant – mais non sans finesse, jouant des dynamiques au service d’une approche contrastée du rôle, entre force et faiblesse. Passons vite sur le Grand Inquisiteur de Wengwei Zhang qui ne possède manifestement pas les graves attendus pour le rôle : faute de contrepoids, le duo/duel avec Philippe II tourne à vide. Reste celle qui à nos yeux constitue le grand atout de la production : l’Elisabeth d’Elza van den Heever. Soulignant les penchants exaltés plutôt que sensuels du personnage, l’interprète dresse un portrait digne et émouvant de la reine d’Espagne, d’une grande qualité musicale (aigus cristallins, richesse du timbre, précision des accents). En comtesse Eboli, Keri Alkema lui offre une rivale de belle tenue : malgré la voix un peu étroite, la souplesse du chant et le naturel de l’expression rendent justice aux pages les plus célèbres du rôle. Le Frère hiératique de Patrick Bolleire et le Tebaldo pétillant de Rihab Chaieb complètent dignement la distribution. Enfin, les interventions du Chœur de l’Opéra national de Bordeaux et du Chœur Intermezzo charment par leur homogénéité, sensible lors des grandes pages chorales du finale de l’acte III.

En remplacement d’Alain Lombard, la direction de Paul Daniel révèle les affinités de celui-ci avec l’Orchestre national Bordeaux Aquitaine, dont il est par ailleurs le directeur musical. Sous sa main, l’orchestre présente une belle cohésion, la souplesse d’un accompagnement au plus près des chanteurs, avec des envolées lyriques bienvenues (beaux pupitres de cordes). En revanche, outre quelques petits défauts techniques (dérapages aux bois), l’ensemble paraît parfois manquer de couleur et de caractère, sonnant un peu trop lisse (ainsi de la marche du Grand Inquisiteur que l’on aurait souhaitée plus inquiétante).

Tout spectaculaire qu’il soit, le dénouement de Don Carlo peut susciter une insatisfaction, en raison du caractère quelque peu artificiel du coup de théâtre ajouté à la pièce de Schiller. En se contentant de le transposer littéralement sur scène, la production bordelaise confirme l’impression générale d’un travail honnête, mais sans réelle prise de risque.

T.S.

Voir notre édition de Don Carlos : L’Avant-Scène Opéra n° 244.

OEP496_2.jpg

Vue d'ensemble. Photos : Frédéric Desmesure.