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Teodor Ilincai (F. B. Pinkerton), Svetla Vassileva (Cio-Cio San) et Carlo Bosi (Goro) lors de la reprise de février 2014.

Beaucoup de décibels et de jolis chromos ont paru combler le très chic public de Bastille. Avouons avoir, de notre côté, étouffé quelques bâillements, lors de cette reprise de la « Butterfly de Bob Wilson » (créée en 1993).

On sait tout ce que le plasticien doit au Japon : sa prédilection pour les espaces nus, nimbés de couleurs changeantes, pour le hiératisme, le code gestuel, les maquillages blafards, nous renvoie avec insistance au pays du nô, des sushis et des bonzaïs. Et Wilson, qui joue en maître des éclairages, bénéficie par ailleurs des divins costumes (classieux, japonisants tout en restant inventifs) de Frida Parmeggiani. Mais, s’il semble consciencieusement fuir l’anecdote, le scénographe ne propose pas grand-chose à la place. Et l’on a par exemple du mal à comprendre en quoi il est plus intéressant, moins redondant et plus signifiant de feindre verser du thé sans théière qu’avec théière… ?  Evacuer le bric-à-brac, oui, épurer la fable, pourquoi pas ? Mais se contenter pour toute action scénique de quelques anguleuses postures mal maîtrisées par les interprètes (l’art de Wilson ne supporte pas l’approximation et appelle plus évidemment la photographie que le jeu) ne suffit pas à faire un spectacle. Deux instants forts, cependant, se détachent : l’apparition brutale de l’Oncle bonze (mélange d’affreux roi de pique et de glaçant Père Ubu) et l’enfant jouant durant l’ineffable intermezzo à bouche fermée. Deux moments qui, néanmoins, ramènent la cérémonie sur le plan du mélo qu’elle prétendait « distancier ».

Côté fosse, on ne fait pas non plus dans la dentelle : à la tête d’un Orchestre de l’Opéra rutilant mais un peu rouillé, en ce début de saison, le jeune Daniele Rustioni (qui sera le nouveau chef principal de l’Opéra de Lyon dès 2017) opte pour des tempi lents, un geste large, des effets appuyés, des crescendos quasi-mahlériens et, s’il ne laisse ignorer aucun « grand air » (pause obligatoire après «Un bel dì vedremo » ), il ne rend guère justice à la souplesse, à l’aspect impressionniste d’une partition qui, au moins au premier acte, procède par fragrances labiles.

Dernière déception : Butterfly elle-même. Qu’on regrette de n’avoir pu entendre dans ce rôle la souvent émouvante Ermonela Jaho (qui le reprendra à partir du 27) ! Bien sûr, on craint pour elle l’immense vaisseau de Bastille – qui ne pose pas de réel problème à sa devancière : Oksana Dyka possède le tranchant des voix slaves, mais aussi leur caractère parfois grinçant, leur émission à la fois droite et peu stable. Comme en outre son italien très fermé passe mal la rampe, autant dire que son incarnation ne nous a pas bouleversé.

Le timbre nettement plus latin, assez corsé, du ténor Piero Pretti (faisant ses débuts à l’Opéra) sert avec probité le personnage de Pinkerton, sans parvenir à lui insuffler le charme dont il manque. Corrects, le Goro de Nicola Pamio, le Bonze de Mikhaïl Kolelishvili et le Yamadori de Tomasz Kumiega. Mais ce sont surtout les excellents Gabriele Viviani (Sharpless) et Annalisa Stroppa (Suzuki) qui sauvent la soirée, à laquelle ils rendent – en compagnie de chœurs toujours très investis – la chaleur humaine, la conviction et l’art des nuances qui lui auraient, sans eux, fait défaut.

O.R.

A lire, notre édition de Madame Butterfly : L’Avant-Scène Opéra n° 56


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Svetla Vassileva (Cio-Cio San) et Teodor Ilincai (F. B. Pinkerton) lors de la reprise de février 2014. Photos : E. Bauer / OnP.