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Marc Mauillon (la Haine) et Marie-Adeline Henry (Armide).

Quand Philippe Beaussant jurait ses grands dieux, au micro de France Musique, qu’on ne pourrait juger équitablement les opéras de Lully qu’en les portant de nouveau à la scène, on le laissait parler. Au milieu des années soixante-dix la redécouverte des Boréades de Rameau semblait beaucoup plus urgente. Puis le succès d’Atys, salle Favart en 1987, a bouleversé les préjugés : non seulement Lully et Quinault méritent de sortir de l’oubli, mais encore ils tiennent la scène plus efficacement que Rameau et ses infortunés librettistes.

Tout n’est pas simple pour autant et les prologues à la gloire du Roi Soleil donnent du fil à retordre aux metteurs en scène. Dans l’Armide de Robert Carsen (en 2008 au Théâtre des Champs-Élysées), un touriste s’endormait sur le lit royal lors d’une visite du château de Versailles et devenait Renaud en rêve… À Nancy, le prologue est chanté pendant la projection d’un film, sensément tourné en temps réel à l’extérieur de la salle, où l’on voit le bon roi Stanislas qui, se prenant pour un autre, vient assister à la représentation, indifférent aux gueux de Callot qui croupissent dans la cour. On comprendra, à condition de lire dans le programme les propos de David Hermann, que deux temps se croisent et s’interpénètrent « en proposant deux niveaux de narration qui évoluent séparément mais qui se construiraient dans un même rapport au temps linéaire ». À partir de ce présupposé, les costumes de Patrick Dutertre opposent ceux fidèlement copiés sur les dessins de la création (notamment pour Hidraot et la Haine) et ceux des choristes en habits de ville, smokings et robes du soir, ou des danseurs en tenue de travail. Ce bariolage ne contribue peut-être pas à concentrer l’intérêt dramatique, mais le spectacle progresse efficacement jusqu’au dénouement et le retour du cinématographe, à l’acte IV, vient à point pour matérialiser les tendres visions du Chevalier Danois et d’Ubalde – visions de mannequins du catalogue des 3 Suisses, naturellement. Le point fort de la mise en scène de David Hermann reste une direction d’acteurs sobre et rigoureuse jusque dans la violence, sous-jacente ou manifeste, qui règle les rapports entre les protagonistes : Aronte qui s’écroule, frappé de mort, après avoir annoncé que Renaud a délivré les captifs, crée le premier choc qui met en marche le moteur de la tragédie. Armide ne ménagera pas ses deux suivantes, ni même la Haine qu’elle a appelée à son secours ; qu’ils se rejoignent dans un sublime duo d’amour ou qu’ils se séparent en se déchirant, Renaud et la magicienne entretiennent une tension qui ne se relâche pas.

Ce qu’on retiendra surtout, c’est la qualité d’une distribution sans failles. De Marie-Adeline Henry, superbe incarnation d’Armide, tant de présence scénique que d’éloquence vocale, aux accents tantôt déchirants, tantôt pathétiques, jusqu’à la fugitive et suave Nymphe des eaux (Hasnaa Bennani), les termes manquent pour distribuer les éloges. Sous la capuche d’une robe de bure peu appropriée, Patrick Kabongo a joliment célébré le charme des plaisirs tandis qu’Andrew Schroeder réussissait à nous intéresser aux discours convenus d’Hidraot. Gloire et Sagesse dans le prologue puis Suivantes d’Armide dont elles affrontent vaillamment les éclats, Judith van Wanroij et Marie-Claude Chappuis prêtent encore leur voix aux fantômes de Mélisse et de Lucinde à l’acte IV. À ce couple harmonieux, de couleur comme de diction, répond celui des chevaliers, le Danois (Fernando Guimaraes) et Ubalde (Julien Véronèse), qui joignent aux mâles accents de leurs voix bien timbrées le talent de jouer les imbéciles sans être ridicules. Que dire du Renaud de Julien Prégardien sinon qu’il est idéal de style et d’incarnation ? Face à Armide, dont le rôle est infiniment plus fort, il s’impose par sa stature et son naturel. Et puis il y a la formidable intervention de la Haine à laquelle Mauillon confère un relief saisissant : l’allégorie disparaît derrière la noirceur du personnage. Enfin, après avoir mentionné l’excellente tenue du chœur de l’Opéra national de Lorraine et des membres du ballet de Lorraine, il est aussi légitime que superflu de rappeler que Christophe Rousset et son orchestre des Talens Lyriques entretiennent avec la musique de Lully une relation privilégiée dont on ne se lasse pas d’apprécier les fruits.

G.C.


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Marie-Adeline Henry (Armide) entre Judith van Wanroij et Marie-Claude Chappuis (ses Suivantes).

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