OEP472_1.jpgPhoto : Les Frivolités parisiennes.

Depuis quelques années, la compagnie des Frivolités Parisiennes s’est donné pour tâche de faire redécouvrir le répertoire lyrique du XIXe siècle. On se souvient en particulier d’une formidable Ambassadrice d’Auber (qui, soit dit en passant, mériterait bien d’être enregistrée). Cette année, avant le Don César de Bazan de Massenet prévu pour 2016, c’est Le Guitarerro d’Halévy et Scribe que la compagnie a décidé de monter. Le spectacle, créé à Saint-Dizier le 7 juin, a été donné au Théâtre de la Porte-Saint-Martin le 15 juin, devant un public qui n’a pas boudé son plaisir et a vivement ovationné les artistes. Espérons que cette présentation parisienne permettra à la production d’être reprise dans la capitale ou en province car elle le mérite largement.

Le choix du Guitarrero démontre, de la part des Frivolités Parisiennes, une connaissance très fine du répertoire lyrique du XIXe siècle. Bien accueilli lors de sa création à l’Opéra-Comique le 21 janvier 1841, cet opéra-comique en trois actes n’a cependant été joué que jusqu’en 1845, ne parvenant pas à se maintenir durablement au répertoire. Il n’en est pas moins une œuvre importante dans la carrière de Fromental Halévy qui, en 1841, est déjà un compositeur installé tant à l’Opéra-Comique (L’Eclair en 1835) qu’à l’Opéra (La Juive, Guido et Ginevra, Le Drapier, en attendant La Reine de Chypre qui sera créé à la fin de l’année 1841). Encore plus puissant, à cette époque, est le librettiste du Guitarrero, Eugène Scribe qui collabore avec Halévy à cette occasion pour la septième fois (sur douze collaborations en tout). Scribe est alors très présent à l’Opéra-Comique auquel il donne deux à cinq ouvrages par an, essentiellement écrits avec Auber (Les Diamants de la couronne en mars 1841) et Adam (La Main de fer en octobre 1841). Magistralement analysé par Hervé Lacombe dans les actes du colloque Halévy publiés en 2003 chez Musik-Edition Lucie Galland, Le Guitarrero est un opéra-comique atypique qui lorgne vers le grand opéra. Le livret de Scribe, inspiré par Ruy Blas, La Favorite et le Pinto de Népomucène Lemercier, est d’une remarquable efficacité et même Théophile Gautier, si souvent critique avec l’auteur du Verre d’eau, a jugé la pièce « bien faite, amusante et construite avec l’habileté ordinaire de M. Scribe ». « Le style et la facture en sont moins négligés que d’habitude », ajoute-t-il, avec une clémence inhabituelle. Il est vrai que les tribulations du musicien des rues Riccardo, amoureux de Zarah, la riche marquise de Villareal, sont plaisantes à suivre, les manigances des comploteurs contre l’occupant espagnol – l’action se déroule au Portugal au XVIIe siècle – s’entremêlant avec l’intrigue sentimentale pour permettre à Riccardo de conquérir la main de sa belle et un titre de marquis !

A partir de ce bon livret (« où M. Scribe a déployé plus de génie dramatique qu’il n’avait fait depuis longtemps » selon L’Artiste), Halévy a composé une excellente partition. Sa musique est « à la fois savante et gracieuse, qualités difficiles à réunir et qui se marient très heureusement dans Le Guitarrero », selon Gautier. Le principal attrait du spectacle des Frivolités Parisiennes est de faire entendre cette partition, grâce à la direction très inspirée d’Alexandra Cravero. La distribution, de grande qualité, rend justice à l’œuvre, même si on peut regretter l’absence d’un véritable chœur. Dans le rôle-titre, hélas, Marc Larcher ne convainc pas vraiment, a fortiori si l’on se souvient que le rôle de Riccardo a été créé en 1841 par Gustave Roger, un des meilleurs ténors de son époque. Julie Robard-Gendre, dans le rôle de Zarah de Villaréal, lui vole la vedette tant elle s’impose par son charisme et son talent. On mentionnera tout particulièrement Laurent Herbaut, remarquable dans le rôle de Martin de Ximena, négociant et chef du complot. Le recours à un bonimenteur doté d’un théâtre miniature permet assez habilement de compenser le manque de moyens de la production. Cela ne saurait suffire, toutefois. Aussi ingénieux que soit Vincent Tavernier, le metteur en scène, il ne peut faire oublier qu’une œuvre comme Le Guiterraro a besoin d’un certain faste, sans être à proprement parler une œuvre spectaculaire. Faute de décors, de chœur et de figurants, le plateau apparaît souvent bien vide, certes quelque peu « habillé » par les beaux costumes d’Erick Plaza-Cochet et la création lumière de Carlos Perez. Il est vrai que le destin de Riccardo démontre que peine d’argent n’est pas mortelle ! Souhaitons donc au Guitarrero le même destin qu’à son héros et espérons une prochaine reprise avec plus de moyens. Ce ne serait que justice – tant pour les Frivolités Parisiennes que pour Halévy et Scribe.

J.-C.Y.