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Carmen Giannattasio (Elisabetta) et Carlo Colombara (Talbot).

 

Régicide aux Champs-Elysées

Après Londres et Barcelone, la production de Maria Stuarda mise en scène par Patrice Caurier et Moshe Leiser arrive au Théâtre des Champs-Elysées… pour y recevoir le même accueil. Mais cette fois les huées sont reçues par Gilles Rico, en charge de la reprise, et par le décorateur Christian Fenouillat. Huées, en effet, car le « pitch » visuel de départ (distinguer les deux reines en costume élisabéthain face à une scénographie par ailleurs moderne) reste une idée orpheline qui fait long feu. La direction d’acteurs semble même n’avoir pas rebondi sur la question, qui alterne pour les souveraines des attitudes tantôt « d’époque », tantôt relâchées, sans que cela apparaisse véritablement calculé – la fameuse scène de confrontation des deux protagonistes s’en ressent. On n’est pas plus convaincu par Westminster meublé en Chesterfield que par Fortheringay transformé en prison high-tech, et le seul vrai beau moment scénique de la soirée point lors du finale, quand une chaîne humaine de mains entrelacées parvient à unir Maria bientôt décapitée à ses partisans rassemblés sous la fenêtre de son cachot.

C’est d’ailleurs ce même moment qui semble soudain réveiller le Chœur du Théâtre des Champs-Elysées, dont le premier acte avait sonné bien erratique (les ténors !) et confus. Un même sentiment de frustration naît de la direction de Daniele Callegari à la tête d’un Orchestre de chambre de Paris en méforme, manquant de netteté comme de précision. Des enchaînements paraissent précipités, comme si l’on craignait que le moindre silence ne révèle un manque d’architecture ou de cohésion d’ensemble. Il faut dire que le plateau vocal est, pour le moins, hasardeusement construit.

Aleksandra Kurzak ne démérite globalement pas, notamment dans le long martyre final qui est en soi un défi de construction musicale et dramatique, et sa tessiture longue est adaptée au profil vocal de Maria. Mais on reste circonspect devant certaines nuances frôlant le détimbrage, une vocalisation peu rhétorique et des longueurs de phrase fort aménagées, là où la partition de Donizetti étire justement des lignes éthérées. Quant à Carmen Giannattasio, le cas est quasiment inverse : on la sait donizettienne aussi bien de technique que de style – elle est peut-être une des rares aujourd’hui à pouvoir assumer les cabalettes de furie que le Bergamasque réservait à ses héroïnes, son tempérament scénique plutôt électrique s’en accommodant d’ailleurs parfaitement. Mais le timbre, épaissi dans le médium pour compenser un manque d’assise grave et strident dans les aigus, ajoute son agressivité à cette électricité et finit par dessiner une Elisabetta univoque, manquant d’arrière-plans et de profondeur. Ajoutons que les deux artistes, suivant une tradition aussi ancrée que périlleuse, font assaut de contre-notes cadentielles systématiques… mais hélas systématiquement tirées. On s’en passerait donc, surtout quand elles arrivent à contre-harmonie – peut-être sous le coup de l’émotion de la hache bientôt levée ? Un tel engagement scénique et vocal vaut néanmoins aux deux interprètes un bel accueil du public.

Ne pouvait-on trouver autre ténor que celui, constamment comprimé, laryngé et sangloté, de Francesco Demuro ? Les rôles secondaires méritent eux aussi des chanteurs de premier rang… surtout dans un répertoire où l’inadéquation vocale peut vite confiner à la souffrance auditive. Carlo Colombara dessert hélas le personnage de Talbot, ici pauvre de timbre et de pâte vocale, et l’on en vient à se consoler avec le Cecil bien mené de Christian Helmer et l’Anna digne et généreuse de Sophie Pondjiclis. Un crime de lèse-majesté !

C.C.

Lire aussi notre édition de Maria Stuarda : L’Avant-Scène Opéra n° 225


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Christian Helmer (Cecil), Carmen Giannattasio (Elisabetta), Francesco Demuro (Leicester), Aleksandra Kurzak (Maria), Carlo Colombara (Talbot) et Sophie Pondjiclis (Anna). Photos : Vincent Pontet.