OEP463_1.jpg
Joseph Kaiser (Nikolaus Sprink) et Marianne Fiset (Anna Sørensen).

 

Deux ans après le triomphal Dead Man Walking de Jake Heggie, l'Opéra de Montréal continue à renouveler son répertoire en mettant à l'affiche Silent Night de l'Américain Kevin Puts, ouvrage créé avec succès par le Minnesota Opera en 2011. Adaptation du très beau film Joyeux Noël (2005) de Christian Carion, le thème de la fraternisation entre soldats ennemis en décembre 1914 est idéal pour souligner le centième anniversaire de la Grande Guerre. De surcroît, le scénario semble a priori se prêter fort bien à la transposition sur la scène lyrique : les deux principaux protagonistes, Nikolaus Sprink et Anna Sørensen, sont chanteurs d'opéra et c'est d'abord par le truchement de la musique que les troupes écossaise, allemande et française sympathisent puis font la trêve. Fidèle à la trame du film, le livret de Mark Campbell en retient les principaux épisodes et même quelques aspects humoristiques. Si, comme souvent au cinéma, les événements s'enchaînent à grande vitesse, l'extrême brièveté de plusieurs scènes convient toutefois moins bien à l'opéra, qui a besoin de temps pour créer une atmosphère et proposer des portraits musicaux bien définis.

La partition de Kevin Puts – son premier opéra – nous plonge d'abord dans un pastiche d'esprit mozartien dans lequel se produisent les deux héros et qu'un officier vient brusquement interrompre pour annoncer la déclaration de la guerre. On assiste à une scène comparable lors de la réception en présence du Kronprinz, où le duo Sprink-Sørensen fait un peu penser à certaines pages néoclassiques de Richard Strauss. Ailleurs, le compositeur sait adopter un langage résolument plus moderne, quoique jamais rebutant, qui rappelle parfois Berg. On aurait souhaité que les passages dissonants où il traduit les affrontements guerriers soient davantage terrifiants, voire apocalyptiques. S'il fait preuve d'un généreux lyrisme dans les scènes méditatives et les savants chœurs polyphoniques des soldats, le « tissu conjonctif » qui relie les moments clés manque de substance. En outre, de trop nombreux silences inhabités ponctuent l'œuvre. Le premier acte s'avère plus contrasté et plus convaincant que la seconde partie où la tension se relâche pour laisser place à une grisaille musicale un peu lassante. Cela dit, Puts révèle de véritables dons pour la scène, qu'il saura sans nul doute affiner dans ses prochains ouvrages lyriques.

La reprise montréalaise bénéficie de la présence sur le podium de Michael Christie, directeur musical du Minnesota Opera. Il permet à l'Orchestre Métropolitain et au chœur de livrer une lecture authentique, puisque le compositeur était présent aux répétitions menant à la création, et d'une belle sensibilité musicale. Au sein d'une distribution remarquable se distingue d'abord le superbe Sprink du ténor Joseph Kaiser, à l'éclatante santé vocale et au jeu toujours très juste. Un peu moins à l'aise avec l'écriture tendue que lui destine Puts, Marianne Fiset n'en incarne pas moins une frémissante Anna Sørensen, dont le « Dona nobis pacem » de la fin du premier acte constitue un des moments les plus émouvants de la soirée. Phillip Addis (Audebert), Alexandre Ajek (Gordon) et Daniel Okulitch (Horstmayer) campent trois lieutenants de grande classe à tout point de vue. La même qualité se retrouve dans les rôles secondaires de Ponchel (Alexandre Sylvestre), du père Palmer (Thomas Goerz), du Kronprinz (Aaron Sheppard) et de Jonathan Dale (Christopher Dale). N'eût été le général Audebert de Jeremy Bowes, à la diction déficiente et à la voix forcée, on aurait eu une équipe de chanteurs impeccable.

L'ouvrage est donné dans la scénographie et la mise en scène originales de Francis O'Connor et Eric Simonson. Assez spectaculaire, la production évoque bien l'univers des tranchées, le no man's land et les différents bunkers. Grâce à un plateau tournant, malheureusement fort bruyant, on passe en quelques secondes d'un camp à l'autre. Les scènes où le temps semble suspendu et où les acteurs du drame se livrent à l'introspection comptent parmi les tableaux les plus saisissants d'une représentation non exempte de longueurs, mais qui possède une indéniable puissance dramatique.

L.B.


OEP463_2.jpg
Phillip Addis (le Lieutenant Audebert), Joseph Kaiser (Nikolaus Sprink), Alexandre Sylvestre (Ponchel) et Marianne Fiset (Anna Sørensen). Photos : Yves Renaud