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Au second plan : Cyrille Dubois (Brighella), Edwin Crossley-Mercer (Harlekin), Daniela Fally (Zerbinetta à partir du 31 janvier 2015), Oleksiy Palchykov (Scaramuccio) et Andriy Gnatiuk (Truffaldino). Au premier plan : Karita Mattila (Ariane).

 

Douze ans après sa création au Palais Garnier, la mise en scène de Laurent Pelly pour Ariane à Naxos tient bien la route. Une direction d’acteurs au cordeau rythme un théâtre aux articulations affûtées et aux personnages soigneusement croqués, tandis que les décors de Chantal Thomas – de la froide maison d’architecte (Prologue) au chantier squatté (Opéra), qui se font écho non sans humour – se jouent des saisons comme des clins d’œil, et s’accordent d’ailleurs agréablement à l’espace de l’Opéra Bastille.

Pour cette troisième reprise, le couple mythologique Ariane/Bacchus affiche une hétérogénéité qui sert le regard distancié que la production pose sur leur grande scène finale. Car le somptueux duo d’amour aménagé par Hofmannsthal est aussi un grandiose quiproquo : Ariane prend Bacchus pour Thésée (puis pour Hermès), Bacchus la confond avec Circé… et jamais leur vue ne se dessille – elle se noie au contraire dans leur extase. Cette rencontre faussée vient également ici des présences radicalement divergentes des deux interprètes. L’Ariane de Karita Mattila, mi-sauvageonne égarée, mi-bonne fille terrienne, déploie une exaltation désinhibée qui la rapproche parfois d’une Elektra ; quelques intonations un peu hautes n’empêchent pas de goûter son chant franc et solaire, enrichi d’un medium profond. Face à elle, Klaus Florian Vogt est, comme toujours, un mystère impénétrable à l’analyse : son legato paraît tour à tout hiératique ou prosaïque, son égalité de ton semble pure inexpressivité, l’aisance et la clarté du chant convoquent l’ange plus que le héros. Il n’empêche : de leur rencontre improbable muée en choc fertile découle un Acte d’opéra admirablement nourri de l’intérieur par ses propres contradictions et qui, pour une fois, n’affiche aucune déperdition de rythme ou de proportions par rapport au Prologue.

Le reste de la distribution est un sans-faute, jusque dans les plus petits rôles. Les Comédiens italiens, notamment l’Arlequin pétillant d’Edwin Crossley-Mercer, sont menés par le bout du nez par Elena Mosuc (en remplacement de Daniela Fally les 22 et 27 janvier) qui, passé un Prologue plus timide, assume crânement la Zerbinette délurée dessinée jadis par Laurent Pelly pour Natalie Dessay. Maître de musique paternel de Martin Gantner, Majordome détaché de Franz Grundheber, et par-dessus tout l’exceptionnel Compositeur de Sophie Koch : sachant saupoudrer son personnage de naïveté adolescente, de fougue juvénile et d’exaltation artistique, et le tout, d’un chant généreux, sain et éloquent. La direction de Michael Schonwandt semble, pendant le Prologue, parfois prudente, avare de reliefs et de surprises ; mais elle tient une soirée de belle eau, fignolant la miniature enjouée au milieu du grand horizon. On recommande le voyage à Naxos.

C.C.

Voir notre édition d’Ariane à Naxos : L’Avant-Scène Opéra n° 282 (septembre 2014)


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Karita Mattila (Ariane) et Klaus Florian Vogt (Bacchus). Photos : Bernard Coutant / OnP.